Alexandre Lenoir

Alexandre Lenoir expresses himself exclusively through the medium of painting, which he uses to oscillate between realism and texture effects. He explores the visual relationship with his canvas head-on, but also views it as a conceptual tool, often questioning the legitimacy of his endeavour. “Do I have the right to be a painter?” “Am I entitled to use and reuse this technique?” “How can a canvas exist?” “Must I create a balanced work?” The answers have never appeared to him very clearly – not that he really needs them, though, as his constant production has gradually allowed him to develop an intimate relationship with painting and his vision of what it means.

Lenoir’s canvases can take several months to come into existence, as he is always keen to fine-tune the effect, although some sections of the work may only have taken him a couple of days. His subjects are chosen at random; he fishes out an image from his personal photographic archive and projects it on the wall. “I’m not trying to achieve a realistic rendering”, he explains. “In fact, I work in the dark, with masking materials. I use masking tape, layer paint washes, and when I remove the tape, I discover my work. The process is reminiscent of photography: there is latency in the image, it emerges gradually.” The artist’s vocabulary makes references to revelation, chance and acceptance of what the canvas can produce almost of its own accord. Here, Lenoir’s life experiences and intimate moments are not necessarily identifiable; what they can do is trigger the beholder’s own personal memories, and the artist enjoys the diversity of interpretations. You can identify landscapes, often lush; disparate assemblages, bodies, hypnotic presences, but also interiors. When focusing on his canvas, almost meditatively, he raises questions of balance and opposition. The paint wash’s liquidity contrasts with the accumulation of layers; the glossy with the dull; the bright colours with the browns, ochres and blacks; a narrative effect with a simple abstract composition… Taken as a whole, his work talks of memories, personal and collective: it unearths the remains of a past that may not have existed at all. To him, what is crucial is that the elements should collide to form a body of work which he readily describes as silent, or “monk”. The rules and framework he imposes upon himself are the starting point of his work’s autonomy: he retains control but lets it live its own life. He accepts the randomness, while finding his place between technique and what must appear. In other words, he influences a form of process in the making to construct a painting.

Alexandre Lenoir may have studied at the Beaux-Arts de Paris, but he very much preferred to conduct his apprenticeship on his own to avoid the influence of others. He developed his own culture, with equal love for Fra Angelico’s embodied subjects and Niele Toroni’s suggestion that one should “work on a painting to let it blossom on its own”.

There was also Eugène Leroy, “who made a thousand gestures to produce just one”, Marc Couturier, who “caused excess and withdrawal”, or Qiu Shihua, “whose paintings look white, but are in fact hyperrealistic”. In his approach of a painting’s capillarity, or when he tears down whole sections of walls (from which he harvests his materials), one cannot fail to think of the poster art in Nouveau réalisme. “Not really”, says Lenoir, “but this process of moving towards an analysis of the canvas in relation to the frame, and the painting that comes with it, creates a certain kinship with Supports/Surfaces, although I only started looking into the movement after someone told me about it. My pieces always originate in intuition and empathy for what I am trying to depict, the place I’m at and the technique that will butt in and exist. I’m not even sure the word technique is appropriate: it’s a manner of doing things in which I am taking risks with my subject. It must be linked to an incarnation and, when evoking my desire to represent something, I don’t conceive it literally. Instead, I think about the heart or the belly of the canvas”. A vital force is conveyed, and the artist almost requires performative movement from the viewer when creating very real three-dimensional effects that can be perceived several metres away from his paintings, or when disjoining them to force the eye to explore a variety of materials and apparitions.

Countless hours spent in the studio are his reason to try to describe “the painting, this extremely ambiguous object which belongs to multiple realities” and accept that the eye is indeed what brings a painting into existence. Starting with his own, as his only light source when painting is the projector; his canvas only becomes discernible to him once he has finished making it. Beyond the image, the painting propels us into its heart and materiality while also encouraging us to view a representation, thus intellectualized by our brain. Alexandre Lenoir is developing a constant back and forth movement between these two concepts.

Marie Maertens

Alexandre Lenoir s’inscrit exclusivement dans le médium de la peinture, oscillant entre un certain réalisme et des effets de matière. Jouant d’un rapport plastique et frontal à la toile, il l’observe également comme un outil conceptuel et s’est beaucoup interrogé sur la légitimé de son geste. « Ai-je le droit d’être peintre ? », « Puis-je me permettre d’utiliser et de réemployer telle technique ? », « Comment une toile peut-elle exister ? », « Dois-je fabriquer une œuvre équilibrée ? » … Les réponses ne lui sont jamais apparues très clairement - et là n’est pas la nécessité - mais à force de produire, l’artiste s’est autorisé à développer un rapport intime à la peinture et à l’idée qu’il s’en fait.

Une toile peut prendre plusieurs mois pour exister, car Alexandre Lenoir prend le temps d’incarner son propos, tandis que certains segments très précis ne lui auront demandé que quelques jours. Le choix du sujet se fait de manière aléatoire, en exhumant parmi ses propres photographies une image qui sera projetée au mur. « Mais je ne cherche pas à avoir un rendu réaliste, débute Alexandre Lenoir, car je travaille dans l’obscurité, avec des masquages. J’appose du scotch, puis des lavis de peinture les uns sur les autres, et lorsque je le retire, je découvre mon travail. Ce procédé est proche de la photographie, avec cette latence dans l’image qui arrive progressivement. » L’artiste emploie un vocabulaire qui renvoie à la révélation, au hasard et à l’acceptation de ce que la toile a produit quasiment d’elle-même. Ses moments vécus et intimes ne sont pas forcément identifiables et peuvent réveiller chez le spectateur d’autres souvenirs personnels, dont il aime les interprétations diverses. On pourra reconnaître des paysages, souvent dotés d’une nature luxuriante, des assemblages parfois disparates, des corps, des présences hypnotiques, mais aussi des vues d’intérieur. Quand lui se concentre sur sa toile, quasi-méditatif, il met en balance des questions d’équilibre et d’opposition. A la liquidité du lavis va contraster une accumulation de couches, à la brillance, une matité sourde, aux tonalités très vives, des bruns, ocres et noirs, à un effet narratif, une simple composition abstraite… L’ensemble témoigne d’un travail portant sur la mémoire, personnelle et collective, et exhumant des vestiges d’un passé qui n’aurait peut-être pas existé. Il lui est important que les éléments s’entrechoquent dans un corpus qu’il qualifie volontiers de silencieux ou de « moine ». Les règles et le cadre qu’il s’impose donnent le départ pour laisser naître l’autonomie d’une œuvre, qu’il tient tout en la laissant vivre. Il assume cette idée d’accueillir l’accident, mais également de trouver une place entre la technique et ce qui doit apparaître. Ou comment biaiser une forme de processus en train de se faire, pour en construire une peinture ? …

Bien qu’ayant été étudiant aux Beaux-arts de Paris, Alexandre Lenoir a préféré mener son apprentissage seul, pour ne pas se laisser influencer par sa condition d’étudiant et l’héritage parfois trop lourd d’un médium considéré comme noble. Il s’est développé sa propre culture et aime autant l’incarnation des sujets chez Fra Angelico que les suggestions de Niele Toroni, « de travailler la peinture en sorte qu’elle éclose d’elle-même ». Il y a aussi Eugène Leroy, « qui produisait mille gestes pour n’en donner qu’un seul », Marc Couturier, « provoquant l’excès dans le retrait » ou Qiu Shihua, « dont les tableaux semblent blancs mais sont en fait hyperréalistes ». À propos de son approche sur la capillarité de la peinture ou l’arrachage de pans entiers de murs - afin d’y récolter sa matière - la question se pose d’une certaine filiation avec les affichistes du Nouveau Réalisme. « Non, précise Alexandre Lenoir, mais ce procédé d’aller vers une analyse de la toile par rapport au châssis et à la peinture qui l’accompagne, crée un lien avec Supports/Surfaces, même si j’ai davantage regardé ce mouvement après qu’on m’en ait parlé. Mes pièces viennent toujours d’une intuition et d’une empathie par rapport à ce que je veux représenter, de l’endroit dans lequel je me trouve et de la technique qui va venir s’immiscer et exister. Je ne sais pas si le mot de technique est juste d’ailleurs, car c’est une manière de faire dans laquelle je vais prendre des risques avec mon sujet. Cela doit être lié à une incarnation et, quand j’évoque une volonté de figurer quelque chose, je ne le conçois pas littéralement, mais en pensant au cœur ou au ventre de la toile. » Cette force vitale se transmet et l’artiste imposerait presque un mouvement performatif à son regardeur, quand il provoque une réelle trois dimension, discernable à plusieurs mètres du tableau ou dans ses disjonctions qui poussent à scruter les différentes matières et apparitions. 

Les heures inénarrables passées à l’atelier constituent la raison de tenter de décrire « cet objet extrêmement ambigu qui est une peinture et appartient à plusieurs réalités » et de reconnaître que l’œil fait bien exister le tableau. À commencer par le sien, car il peint à la seule lumière de son projecteur et discerne sa toile à la fin de sa réalisation. Au-delà de l’image, la peinture nous propulse dans son cœur et sa matière, tout en nous conduisant à y lire une représentation, intellectualisée par notre cerveau. Alexandre Lenoir développe un va-et-vient constant entre ces deux concepts.

Marie Maertens