Almine Rech Paris a le plaisir de présenter la deuxième exposition personnelle d'Otis Kwame Kye Quaicoe à la galerie, du 18 novembre au 22 décembre 2023.
Avec le nouvel opus qu’Otis Kwame Kye Quaicoe présente à Paris dans le cadre de sa seconde exposition personnelle à la galerie Almine Rech, l’artiste poursuit son investigation autour de la figure du cowboy noir en réunissant un ensemble de portraits en buste coiffés de l’emblématique chapeau de la scène Rodéo. L'objectif de l'artiste est double : le phénomène de l'"invisibilité" en tant qu'indicateur de batailles plus importantes à mener, et l'étude de la signification des différentes scarifications et tatouages de chaque personnage.
Les personnages, majoritairement masculins, modèles d’atelier ou proches de l’artiste, sont habitants du Ghana, dont Otis Kwame Kye Quaicoe est originaire, ou des Etats-Unis, où l’artiste vit aujourd’hui. Seuls ou à deux, les sujets sont isolés, tout à la fois observateurs et observés, les yeux plantés dans ceux du peintre et du regardeur. La puissance des portraits et la touche dynamique qui caractérisent les tableaux, les rattachent à l’école d’Accra, soit une génération de jeunes peintres talentueux parmi lesquels Amoako Boafé, qu’Otis Kwame Kye Quaicoe rencontre au College of Art and Design de Ghanatta et dont il partage depuis l’amitié. Le cadrage serré, l’intensité du regard, les tenues bigarrées, font autant écho à la culture publicitaire de l’image qu’à la tradition du portrait. Convoquant les grands noms de la peinture occidentale - Rembrandt en premier lieu -, les tableaux de format moyen sont peints avec application, jusque dans l’extrême précision des détails d’une marque de vêtement, d’un accessoire, d’un arbre perçant l’horizon, ou de nuages meublant le ciel. La matière large et épaisse, particulièrement soignée dans le traitement des cheveux, l’insertion d’objets – tissages, colliers -, et le choix d’une palette vive et joyeuse indiquent enfin la volonté de revenir à une expression originelle et sensuelle de la création. Celle qu’Otis observait enfant dans son village de pêcheur où la couleur était partout présente, celle des premières affiches de cinéma dont il découvrit avec émerveillement qu’elles étaient peintes à la main.
Le chapeau de cowboy est traité en transparence telle une auréole. Contrastant avec les couleurs des vêtements et des arrière-plans, la peau des personnages est traitée dans des tonalités unifiées de gris, les visages marqués de stries faciales qui renvoient aux scarifications tribales, aux stigmates de l’esclavage et à l’art du tatouage contemporain. Longtemps méprisé par la société car perçu comme le signe de l’homme primitif, du marginal ou de l’opprimé, le tatouage est aujourd’hui ornement de mode et langage symbolique - plus que signe social, sexuel et ethnique. Mêlant ici l’anthropologique – celui des différentes tribus ghanéennes - au phénomène de mode, Otis Kwame Kye Quaicoe relie le présent à un passé séculier et des parcours de vie individuels à une conscience collective. Peints de memoire et d’après photographie, les modèles subissent quelques déformations arbitraires que s’octroie l’artiste, résurgence de ses premiers travaux abstraits. Le portrait, genre académique par excellence, sans cesse réinventé depuis l’arrivée concurrentielle de la photographie, interroge ici les notions de perception et de relation à l’autre. La relation au spectateur notamment que le sujet défie superbement du regard. Fiers sujets présentés à l’avant d’un fond neutre ou d’un vaste paysage, les modèles embrassent d’un seul et même corps culture originelle et culture d’adoption. C’est dans cette pluralité et ce refus paradoxal des différences que s’articulent et s’épanouissent la pensée et la peinture d’Otis Kwame Kye Quaicoe. Prétexte et support de l’imagination, le portrait lui permet d’affirmer, par-delà les expressions individuelles, celle qui détermine sa propre attitude vis-à-vis du monde d’aujourd’hui. Dès lors, la représentation d’un sujet n’a plus pour fin sa seule fixation, idéale, transformée ou fantasmée, ni la désignation de la place qu’il occupe dans la société, mais la définition de la société telle que l’entend l’artiste, et la symbolisation de destins universels. En associant la figure du cowboy noir à l’esthétique du tatouage, Otis Kwame Kye Quaicoe assigne à ses portraits une dimension politique : le souvenir d’un ostracisme et le signe cathartique d’une nouvelle renaissance où le corps exclu et étranger se mue en corps social et glorieux.
— Cécile Godefroy, écrivaine et commissaire d'exposition