Pour sa troisième exposition personnelle à la galerie Almine Rech, Ange Leccia (né à Minerviu, Corse en 1952) renoue avec un travail plastique un peu occulté ces dernières années au profit du cinéma. Les nouvelles pièces qu’il expose à cette occasion, « arrangements » et photographies, s’inscrivent dans le prolongement d’une réflexion entamée dès ses premières expositions au début des années 80.
Si son travail aborde depuis ses origines la question du cinéma, cette dernière est envisagée sous différents aspects : qu’il s’agisse de l’image en mouvement ou du film still, de la machinerie ou du dispositif cinématographique, de la lumière, de la pénombre ou du son.
Leccia manipule sa première caméra super 8 au lycée de Bastia durant les années 60. Il explore alors tous les champs d’investigation, et réalise un premier film « Stridura » en 1978, confiant le rôle principal à l’acteur Pierre Clémenti. Très vite pourtant, il s’échappe des contingences de la production, dirigeant ses recherches vers les arts plastiques : il expose des projecteurs sans images, des morceaux de pellicules, des boîtes métalliques censées contenir des films, utilise les bandes-son de films qu’il aime (celles de Godard notamment), parle de ses dispositifs d’installation qu’il préfère nommer « arrangements » comme de « film stills ».
Ange Leccia met en scène des objets issus du réel (projecteurs, télévisions, automobiles, motos…) à partir desquels il génère des rencontres improbables, créant autant de situations émotionnelles inattendues, d’instants en suspens où les choses se cristallisent. Faiseur d’images, Leccia sait en extraire toute la force avec les moyens les plus simples. Pour cette exposition il a conçu une suite de colonnes de bois à section carrée d’un aspect délibérément minimaliste.
L’intérieur de chacune de ces colonnes, est tapissé de miroirs et renferme un projecteur super 8 tournant à vide, dont l’image et l’éclat lumineux se reflètent à l’infini sur les parois. Ce dispositif simple, joue simultanément sur les reflets décuplés de la machine, sur les vibrations lumineuses et le bruit du moteur. De ces pièces l’artiste dit aimer le paradoxe : l’apparente froideur extérieure qui contraste avec ce que le spectateur peut découvrir en s’approchant de la colonne, ce projecteur vu ici comme une machine mise à nu, mais une machine à rêver, à fabriquer des images ou à construire du sens.
De même il a choisi de présenter des tirages photographiques d’après des pochettes de disque lui appartenant, images liées à des moments de sa propre histoire. Enfin un grand tirage noir et blanc rassemblant trois film stills tirés de ses propres films et présenté dans la pénombre est éclairé par le faisceau d’un projecteur super 8. Bruit de moteur, image palpitante et fugitive, fragilité du dispositif…
Françoise-Claire Prodhon