LA Californie, cinquième exposition personnelle d’Alex Israel à la galerie Almine Rech Paris, contribue un regard nouveau aux différents débats, célébrations et expositions qui vont marquer partout dans le monde le cinquantième anniversaire de la mort de Pablo Picasso. Avec Picasso, Israel a trouvé le sujet idéal de ses explorations, aux confins des beaux-arts et de la pop culture. Il avait déjà évoqué les « dessins lumineux » de Picasso (rendus célèbres par le magazine Life en 1949) dans un autoportrait en réalité augmentée, réalisé avec Snapchat et permettant au regardeur de le voir tracer son profil emblématique du bout d’un doigt incandescent[1]. Pour cette exposition, Israel se tourne vers un autre aspect de l’héritage de Picasso : La Californie.
De 1955 à 1961, Picasso, au sommet de sa carrière, vit et travaille à La Californie, une villa Belle Époque sur la Côte d’Azur qu’il transforme en une sorte de salon-Gesamtkunstwerk rempli de ses propres céramiques, peintures, gravures et sculptures. Il traite d’ailleurs lui-même cette mise en scène complexe comme une forme nouvelle d’autoportrait. Dans un hommage à ces œuvres intimes, Israel propose un aperçu de son propre atelier de Los Angeles – avec ses pots de peinture, chevalets, ou œuvres d’art en devenir – dans Self-Portrait (Warner Bros.), 2023. Dans une série de tableaux plus petits, il remplace les sujets classiques des natures mortes de Picasso (Le Journal, fruits et bouteilles d’alcool) par des objets typiquement californiens comme le Los Angeles Times, le rhum Malibu, la partition du Dreams de Stevie Nicks… ou encore un avocat.
Une autre œuvre exposée ici fait écho à la vie sociale, voire mondaine, de Picasso à La Californie. Si le nom de la villa évoque à lui seul une aura de glamour hollywoodien, son emplacement, surplombant la station balnéaire de Cannes, rapproche Picasso des stars de cinéma qui y affluent pour le festival éponyme. Illustrant ce lien que Picasso entretient avec la culture des vedettes, son Self Portrait (After André Villers’ 'Portrait of Picasso with Gary Cooper's hat and gun’, 1959 © Adagp, Paris, 2023) le représente vêtu de son emblématique marinière et portant le chapeau de cowboy et le revolver de Gary Cooper. Le tableau, basé sur les photos prises à la villa en 1959 par André Villiers, incarne bien le statut d’icône acquis par Picasso et le relie directement aux grandes stars de Hollywood. Israel, dont l’atelier est situé dans le backlot de la Warner à Los Angeles, et qui intègre depuis longtemps des accessoires de cinéma dans sa pratique, utilise cette image de Picasso pour historiciser le modèle d’un artiste qui se comporte comme une célébrité. Ailleurs, des découpes en aluminium peint à l’effigie grandeur-nature d’Israel, d’Almine Rech et de Bernard Ruiz-Picasso suggèrent un lien entre culture pop et marché de l’art. Ces sculptures autoportantes trouvent leur inspiration dans les découpages de carton et de papier réalisés par Picasso dans les années 50 et 60, mais évoquent aussi les silhouettes de stars bon marché qu’on trouve devant les cinémas ou les magasins de souvenirs. En employant le langage visuel de la publicité pour représenter les galeristes (qui se trouvent également être les héritiers de Picasso) et lui-même (arborant un T-shirt souvenir de Picasso), Israel souligne le lien commercial qui existe entre l’art et la célébrité.
À travers cette exposition, Israel incite au dialogue entre passé et présent, mais aussi entre imaginaire et réel, en présentant son propre travail aux côtés d’œuvres et d’objets historiques empruntés à la collection de la Fundación Almine y Bernard Ruiz-Picasso, ainsi qu’une sélection d’accessoires de cinéma liés à l’art provenant de maisons parisiennes. Parmi ces objets (réels ou factices), on trouve plusieurs palettes. Les véritables palettes de Picasso sont présentées ici en compagnie d’imitations de cinéma, ainsi que d’un Self-portrait (Palette) - 2023 d’Alex Israel. En capturant ainsi l’essence même de La Californie, l’artiste se sert de la magie hollywoodienne pour brouiller les distinctions entre artefact, artifice et œuvre d’art.
— Mara Hoberman, curator and writer
[1] Self-Portrait (The Painter), 2019