"Le vice appelé surréalisme est l‘emploi déréglé et passionnel du stupéfiant image". (Louis Aragon)
Imaginez, lors du vernissage de Brian Calvin à Paris, surprendre des bribes de conversations entre les invités venus pour l’occasion d’univers différents. Philip Guston par exemple expliquerait à Louis Aragon comment « à l’époque du futur » nous avons hérité du mythe de l’art abstrait : « il y a quelque chose de ridicule et de misérable dans le fait que la peinture soit autonome, pure et réalisée pour elle-même. Au contraire, elle est "impure". C’est l’ajustement de ces "impuretés“ qui en force la continuité. Nous fabriquons des images et les images nous remplissent ». Sur quoi Aragon acquiescerait d’un sourire avant de poursuivre son chemin. Les lèvres représentées sur l’ensemble des petites toiles intitulé Mouthfeel capteraient son attention.
Des kilomètres de rayons de soleil déferlent par vagues et face aux nouvelles toiles de Brian Calvin naît l’impression d’observer quelque chose d’à la fois étranger et familier. D’abord un sentiment d’étrangeté, peut-être, car après tout nous voyons le soleil tourner autour de la terre même si nous savons que l’inverse est vrai. Nous commençons par voir, mais ce que nous voyons, c’est ce que j‘appellerais des « twin infinitives » (gémellité infinie), traversant l’espace d’exposition, pénétrant les œuvres. Des yeux nous scrutent et suivent notre regard allant de toile en toile. Nous nous identifions à ce que nous voyons. Le raisonnement et les mots n’arrivent qu’après coup ; nous savons que ces yeux d’acrylique ne peuvent nous regarder.
J’essaierais de l’expliquer autrement : nous constatons la multiplication des silhouettes, des yeux et des lèvres, mais ces derniers paraissent toujours – même pris dans leur ensemble – démultipliés à l’infini. L’étrangeté semble renforcée par la présence de ces jumeaux en nombre indéterminé. Vous me suivez toujours? Je poursuis maintenant avec ce sentiment de familiarité. Etudiant les compositions de Brian Calvin, je suis tout à fait d’accord pour dire que la peinture est une conversation et qu’elle n’a donc assurément rien d’un monologue. Une toile n’est jamais fermée. Il est toujours possible de « se plonger dedans », encore et encore. Rien ne vous empêche de prolonger votre réflexion, de poursuivre le cours de la « main pensante ». Vous pouvez avoir une conversation privée avec une toile. Encore et toujours, le peintre et le spectateur sont jumeaux, dans un sens qu’il reste à définir.
L’univers de Brian Calvin a ainsi quelque chose de familier car il parle simultanément à différentes générations. Il témoigne d’une affiliation à la prétendue platitude de la forme présente dans la recherche picturale d’Alex Katz, ainsi qu’à un certain héritage warholien dans le processus de création de l’image. D’autres rapprochements sont possibles, laissez les notes d’une chanson lo-fi vous guider parmi ses représentations. Trente, quarante, cinquante ans de musique résonneront par exemple dans un détail. Regardez les doigts ou les cigarettes, le gloss sur les lèvres : est-ce une nature morte, ou est-ce vous au volant d’une voiture sur l’autoroute, la radio allumée ? Récemment, j’ai vu un jeune homme passer plus d’une heure dans une exposition de Brian Calvin. Il était seul et regardait chaque toile avec beaucoup d’attention. Peut-être se sentait-il touché par le fait qu’en ce 21ème siècle les peintures et lui-même devenaient des monteurs d’images, des faiseurs d’images?
En parcourant une exposition de Brian Calvin, vous êtes guidés par les images. Vous tentez de revivre quelque chose et en même temps vous expérimentez une transformation concrète. Parce que l’on peut tous se remémorer le fait de se concentrer sur un objet en train de se transformer sur la toile. Peut-être est-ce cela la dénommée « choséité » des images ?
Un exemple : dans les nouvelles toiles, attardez vous sur la composition des boutons, sur leur singularité. Un bouton, c’est d’abord l’expression d’une mode, mais c’est aussi un cercle, un autre cercle puis un autre cercle qui amène un autre cercle et encore un autre cercle. Des « twin infinitives » ? Oui, je suis d’accord. Peindre.
—Phillip Van den Bossche