Sasha Ferré Toccata

Almine Rech is pleased to present 'Toccata', French artist Sasha Ferré's first solo show with the gallery.

Sasha Ferré does not see her paintings. Or at least she cannot see them when she is working: her hands are full of colours, she is fully immersed in the act of blending oils and caressing the material she handles. Sasha Ferré does not see her paintings, and yet she only works in the daytime as she craves natural light. From what she told me about her creative process, my understanding is that she performs a sort of daytime ritual which consists of coating the surface of a linen canvas with an initial layer of coloured tempera before covering the background with greasy pigmented matter. Issues of depth, and therefore dimensions, are already at stake. All of her work must take place in the space of a day - a rule dictated by the physical properties of oil paint, which also gives Sasha Ferré’s work a conceptual nature (the canvas as unity of time). Her ritual is soundtracked by music, and you can’t help but feel compelled to imagine what beats and melodies may have sounded across the studio while the artist was composing her latest works.

In the studio, everything takes place on the floor. The artist works squatting, on all fours, in an almost erotic relationship where the canvas is skin and the paint is flesh. At this stage, stepping back is impossible: Sasha Ferré is absorbed by her colours. When I asked about her body position, she talked about a speculative history of painting, beyond the idea of perspective, subject or style, more focused on studying the distance between the canvas and the artist’s hand, an approach where the paintbrush might be seen as a distancing instrument. She added that some major 20^th century painters who had chosen to free themselves from the paintbrush still kept that distance, as was the case with Jackson Pollock – who touched neither paint nor canvas – or Yves Klein, who painted his Anthropometries through the intermediary of naked women (thus serving as both models and brushes). Sasha Ferré, conversely, deliberately chose to abolish all distance and renounced paintbrushes entirely in 2020.

The abolition of distance between her hands, the colour and the canvas is an aesthetic statement that has formal repercussions – traces of the artist’s fingers and hands visibly emerge when you come closer to her paintings – but also an ethical one. The idea is to place hapticality – the ability to touch and allow yourself to be touched – at the heart of the painting process. Sasha Ferré’s tour de force is that she successfully reveals painting that touches upon nature not by seeking to depict it but to let it be felt. The artist lives in the gap between landscape and abstract painting, where she unfolds a world of foliage, waves, flames and corals that we can no longer see but would once more need to learn to touch (beyond our endless screen-scrolling). The titles of her works equally bear witness to her endeavour. Picked up from British poet Alice Oswald’s collections Falling Awake (2016) and Nobody: A Hymn to the Sea (2019), they amplify the “sensuous ecology” aspect of Sasha Ferré’s work (to give but one example: Closer and closer to the ground, 2023).

The material Sasha Ferré works with is greasy. The paint she uses doesn’t come from pots or tubes, but in the form of oil sticks (she started using them in 2017), which she first brings together (her orchestra-palette) before spreading them across the canvas. The gesture may seem primitive, but it should be noted that Sasha Ferré actually takes great care in fading the colours and letting the light shine through, endowing her compositions with complex dimensions and conveying a strong sense of movement. In addition, “Toccata” - the name the artist chose for her show - is also significant in many ways. It refers to a composition style specific to Baroque music and applied to various instruments (essentially keyboards, but not only); the term comes from the Italian for touched in the feminine form. So-called toccata pieces generally emphasize “contact” with the instrument. Toccata originally encouraged improvisation, and has taken many different forms over the centuries. The title certainly underscores the tactile and rhythmic qualities of Sasha Ferré’s work, but it also invites the viewer to listen to the colours of her paintings rather than just look at them. The artist’s work thus echoes the words of German biologist and philosopher Andreas Weber in his book Matter and desire: an erotic ecology (2017):

“The world is not an aggregation of things, but rather a symphony of relationships between many participants that are altered by the interaction: a necessarily erotic occurrence” (p. 29)

— Cédric Fauq

^{1. The conversation with Sasha Ferré took place on 21 July 2023, in her studio, at a time when the pieces for the show had already been produced.}

^{2. See the work of David Abram, especially The Spell of the Sensuous. Perception and Language in a More-Than-Human World, Vintage Books, New York, 1997, translated by D. Demorcy.}

^{3.  The original sentence reads: "The world is not an aggregation of things, but rather a symphony of relations between many participants that are modified by interaction: a necessarily erotic event.}

Almine Rech a le plaisir de présenter  'Toccata', la première exposition personnelle de l'artiste française Sasha Ferré avec la galerie.

Sasha Ferré ne voit pas ses toiles. Du moins, quand elle travaille, les mains pleines de couleur, elle ne peut pas les voir, tant elle est plongée dans les fondus de la peinture à l’huile et les caresses à la matière qu’elle manipule. Sasha Ferré ne voit pas ses toiles et pourtant, elle ne travaille que de jour, par nécessité de lumière naturelle. Dans ce qu’elle me confie sur son processus de travail⁽¹⁾ je comprends qu’elle performe un rituel diurne qui consiste à enduire la surface d’une toile de lin d’une première couche de peinture tempera colorée pour ensuite recouvrir ce fond de matière grasse pigmentée. Il est déjà question de profondeur et donc de dimensions. Tout le travail de la matière doit se passer dans l’espace d’une journée : une règle dictée par les propriétés physique de la peinture à l’huile qui donne également au travail de Sasha Ferré une teneur conceptuelle (la toile comme unité temporelle). Ce rituel est accompagné de musique. On ne peut pas faire l’économie d’imaginer quels rythmes et mélodies ont pu traverser l’atelier au moment de la composition des dernières toiles de l’artiste.

Dans son atelier justement, tout se passe à même le sol. L’artiste travaille accroupie, à quatre pattes, dans une relation quasi-érotique à la peau de la toile et à la chair de la peinture. La prise de distance reste, à ce stade, impossible : Sasha Ferré est absorbée par la couleur. Lorsque je l’interroge sur cette position, elle me parle d’une histoire spéculative de la peinture, au-delà de l’idée de perspective, de sujet ou de style, qui s’attacherait plutôt à l’étude de la distance entre la toile et la main de l’artiste, ce qui reviendrait à considérer le pinceau comme une technologie de l’éloignement. Elle ajoute que certains peintres qui ont marqué le 20ème siècle et qui se sont parfois affranchis du pinceau ont conservé cette distance : c’est le cas de Jackson Pollock qui ne touchait ni à la peinture ni à ses toiles mais également d’Yves Klein qui peignait ses Anthropométries par l’intermédiaire de femmes nues (à la fois modèles et pinceaux donc). Sasha Ferré a pris la décision d’abolir cette distance (elle abandonne les pinceaux définitivement en 2020).

Cette abolition de la distance entre ses mains, la couleur et la toile est à la fois une posture esthétique puisqu’elle a des répercussions formelles – ce sont bien les traces des doigts et des mains de l’artiste qui surgissent lorsque l’on s’approche de ses toiles – mais également éthique. Il s’agit de replacer l’hapticalité – la capacité de toucher et de se laisser toucher – au cœur du geste de peinture. Le tour de force de Sasha Ferré consiste alors à faire émerger une peinture qui touche à la nature non pas en cherchant à la représenter mais à la faire sentir. C’est cette faille entre le paysage et la peinture abstraite qu’habite l’artiste, déployant un univers de feuillages, vagues, flammes et coraux qu’on ne saurait plus voir mais qu’il faudrait réapprendre à toucher (au-delà du scroll infini des écrans). Les titres de ses œuvres sont les seconds témoins de cette entreprise. Extraits des recueils de poésie Falling Awake (2016) et Nobody: A Hymn to the Sea (2019) de la poète britannique Alice Oswald, ils amplifient la part d’« écologie sensuelle»⁽²⁾ du travail de Sasha Ferré (pour ne donner qu’un exemple : Closer and closer to the ground, 2023).

La matière avec laquelle travaille Sasha Ferré est grasse. Sa peinture n’est pas en pot ou en tube mais se présente sous forme de oil sticks (qu’elle emploie depuis 2017). Des bâtons de peinture à huile qu’elle va d’abord rassembler (sa palette-orchestre), pour ensuite les étaler sur la toile. Derrière l’aspect primitif de ces gestes, il faut souligner le soin apporté par Sasha Ferré dans les fondus de couleur et les apparitions de lumière, qui donnent toute leur dimension aux compositions et transmettent l’impression de mouvement. Tout cela étant énoncé, “Toccata”, le nom donné par l’artiste à son exposition, est signifiant à plusieurs titres. Référence à un style de composition propre à la musique baroque pour différents types d’instruments (majoritairement à clavier mais pas seulement), le terme a pour origine le mot touchée en italien accordé au féminin. Les pièces dites de toccata ont pour but premier la prise de « contact » avec son instrument. Elles sont également, à l’origine, de nature à être improvisées. Au fil des siècles, la toccata a donc pris des formes diverses. Si le titre permet de mettre l’emphase sur les qualités tactiles et rythmiques de la peinture de Sasha Ferré, il est aussi une invitation à non pas regarder mais écouter les couleurs de ses toiles. Le travail de l’artiste fait ainsi écho aux mots du biologiste et philosophe allemand Andreas Weber dans son ouvrage Matter and desire: an erotic ecology (2017) :   

« Le monde n’est pas une masse de choses mais plutôt une symphonie de relations entre plusieurs protagonistes changés par leurs interactions : un phénomène naturellement érotique » (p. 29, traduction de l’auteur)⁽³⁾

— Cédric Fauq

^{1. Les échanges avec Sasha Ferré ont eu lieu le 21 juillet 2023, à son atelier, alors même que les oeuvres de l’exposition étaient déjà produites.} 

^{2. Voir les travaux de David Abram et plus particulièrement The Spell of the Sensuous. Perception and Language in a More-Than-Human World, Vintage Books, New York, 1997, traduction française par D. Demorcy.}

^{3.  La phrase d’origine est la suivante : “The world is not an aggregation of things, but rather a symphony of relationships between many participants that are altered by the interaction: a necessarily erotic occurrence.”}