John Armleder, Mark Barrow & Sarah Parke, Matthias Bitzer, John Currin, Ayan Farah, Frank Gehry, Mark Hagen, Max Lamb, Peter Peri, Christopher Schanck, Francesco Vezzoli, Brent Wadden, Franz West, and japanese Boros.
Que se passe-t-il lorsque l’oeuvre d’art bascule du côté de l’usage, lorsque la sculpture lorgne du côté du mobilier, que l’image investit non pas le tableau mais la tenture ou le tapis ?
Cette exposition met en perspective la façon dont bon nombre d’artistes déjouent les catégories, et questionnent la limite poreuse supposée séparer l’art, des arts décoratifs en réintroduisant la notion de domesticité dans leur réflexion.
Ces travaux, souvent considérées comme se situant à la marge de la pratique artistique, révèlent cependant d’autres enjeux… Le plus évident de ces enjeux consistant à attribuer à l’objet une fonction qui va au-delà de la beauté et du contenu.
Ce souci de dialogue entre forme et fonction traverse l’histoire, ravivé à la fin du XIX° siècle par le mouvement des Arts and Crafts de William Morris et John Ruskin, puis quelques années plus tard par l’Art Nouveau qui exprime cet idéal de « Beau dans l’utile ». Ce même objectif est mis en exergue durant les années 1920-30 par les mouvements d’avant garde que sont le Bauhaus ou De Stijl, avant d’être de nouveau occulté. Durant tout le XX° siècle, cette question du lien ou de la rupture entre l’art et les arts décoratifs fait débat, tout comme font débat par ailleurs les éventuelles vertus « décoratives » de l’oeuvre d’art. De leur côté, les designers soulignent cette possible perméabilité entre mobilier et sculpture, en signant des créations dont la fonctionnalité s’efface derrière la forme, et/ou en produisant de plus en plus souvent des séries limitées, voire parfois des pièces uniques.
Aujourd’hui, ce cloisonnement supposé entre ce qui relèverait de l’art et ce qui a longtemps été regardé comme un art mineur tend à disparaître. Cette relecture est provoquée par des artistes qui renouent avec le dialogue entre forme et fonction, en introduisant dans leur pratique des matériaux habituellement destinés à la création d’objets domestiques ou à l’artisanat. Ainsi céramique, laine, textile, verre, matériaux recyclés, sont ils à présent partie intégrante du langage plastique contemporain.
Ces matériaux induisent des techniques et des gestes longtemps réservés à l’artisanat d’art, ou aux ouvrages minutieux des femmes (du mythe de Pénélope attendant le retour d’Ulysse, aux travaux d’aiguille des religieuses à l’abri des murs des couvents, ou aux tricots et autres broderies, considérés comme des passe-temps féminins). Ce retour à la « fabrication » manuelle, cette implication dans un travail d’atelier réclamant temps et attention semble motiver le choix de certains artistes. Cette attitude, loin d’être régressive, peut être vue comme une réponse aux productions d’oeuvres spectaculaires dont la perfection et la sophistication technique efface toute trace d’intervention manuelle, décourage toute forme d’émotion. Ces productions d’apparences plus modestes tolèrent les éventuelles imperfections, irrégularités, aspérités qui non seulement en font la singularité, mais expriment aussi une forme de poésie et une proximité avec celui ou celle qui les regarde ou les utilise. Par ailleurs, ces pièces « fonctionnelles » interrogent parfois une relation au corps. Le spectateur devenu un utilisateur est invité à toucher, bouger, s’asseoir, se déplacer, expérimenter l’objet, tout en l’appréciant pour ce qu’il est : une oeuvre d’art ( pièce unique ou réalisée en série limitée ).
Parfois, le dispositif produit par l’artiste crée un flottement né du brouillage des codes, notamment lorsqu’il confronte un objet utilitaire préexistant à son propre travail. Ce même trouble opère lorsque le geste du peintre investit d’autres supports comme le tapis ou la tapisserie. Ces pratiques évoquent autant les formes hybrides que peut emprunter la peinture que le regard que nous portons sur des oeuvres qui échappent aux catégories.
Dans sa diversité, l’exposition pose un regard contemporain sur la création au sens le plus large du terme. Elle joue aussi librement avec l’idée d’une installation domestique qui a plus à voir avec l’appartement de l’amateur qu’avec le white cube qu’est la galerie.
Françoise-Claire Prodhon