Dans les années 1980, Semyon Faibisovich perçait grâce à plusieurs peintures qui, ensemble, constituaient un portrait de l’ère soviétique. Contrairement aux membres du Sots Art ou du mouvement conceptuel moscovite, dont la description du système reprenait les symboles officiels de ce dernier (bannières, slogans, effigies de dirigeants, passages clé de textes), il s’intéressait aux aspects visuels passés inaperçus ou laissés pour compte. Les éléments que tous regardent, mais que très peu voient : les lieux-communs, la monotonie du quotidien, les visages éteints comme marqués d’un identique tampon invisible, l’air opaque de l’oppression. Pour lui, chacun d’entre eux en disait autant sur la vie en URSS que les emblèmes administratifs. Tout autant d’ailleurs que la lumière, les rayons de soleil grâce auxquels on surmonte la grisaille d’une réalité apathique.
Jusqu’au début des années 1990, à la disparition du soviétisme, Semyon Faibisovich continua son observation attentive du monde environnant, un travail dont résultent des œuvres que l’on pourrait qualifier d’« hypno-réalistes ». Ensuite, il passa de l’objet de la démarche à la démarche elle-même. Son projet Evidence étudie le processus de la vision à partir des défauts et des particularités qui altèrent notre perception des choses (sans, dans la plupart des cas, que nous nous en rendions compte) : le point aveugle de l’œil ; la diplopie, qui vient au moment du réveil, ou sous l’effet de l’alcool ; la « vision résiduelle », quand nous fermons nos yeux et que, rattachées aux capillaires sanguins, les paupières deviennent des écrans sur lesquels apparait, mais en négatif, ce que nous venons de voir. L’artiste examine puis nous montre la formation de ces négatifs et, de la sorte, brouille la distinction entre réel et abstrait.
En 1995, Monsieur Faibisovich arrête de peindre et, durant plusieurs années, se consacre à l’écriture. Vers la fin de la décennie, il revient à l’art, cette fois par le biais de la photographie, des installations et de la vidéo. Il faudra attendre 2007, quand l’artiste sent l’avènement d’une ère nouvelle dont il décide qu’il est temps de faire le portrait, au moyen d’un matériel actuel et idéal pour cette entreprise : la peinture. Désormais essentiellement tripartite, sa technique implique des photos en basse résolution prises avec des téléphones portables, un logiciel de peinture numérique pour agrandir ces images sur l’ordinateur puis les imprimer sur une toile puis, finalement, la traditionnelle peinture à l’huile. Fusionnement de trois processus en un seul, ce mélange de technologies marque pour ainsi dire la création d’une espèce d’art visuel ; un langage inventé par l’artiste pour répondre à la réalité qui l’entoure.