La galerie Almine Rech est heureuse de présenter la première exposition personnelle de Curtis Mann à Paris.
Dans Openings, Curtis Mann dévoile de nouveaux tirages de photographies prises sans objectif. Par des techniques de décoloration, de coupe et de pliage, il poursuit son travail d’effacement délicat mais obstiné du papier photo. Très influencé par l’artiste américain Gordon Matta-Clark (1943-1978), qui s’emparait souvent de morceaux entiers de bâtiments à l’abandon, Curtis Mann « déconstruit » les matériaux ; une façon paradoxale de mieux appréhender leur capacité structurelle. Dans quelle mesure, cherche à découvrir l’artiste, peut-on dévoiler des informations par un travail sur leur absence ?
Dans la série C.I., Curtis Mann explore le contraste entre les qualités des espaces négatif et positif. Grâce à la « vaporisation » de décolorant sur les tirages, une méthode de son cru, il a partiellement gommé des formes tirées d’illustrations de Conical Intersect (1975), un projet de Gordon Matta-Clark. Proche des photographies monochromes blanc sur blanc, à la fois aplati et énergique, le résultat montre un effet de désagrégation là où le produit a grignoté le papier, mais d’exubérance sur le reste de la surface. À l’identique du procédé de gravure en creux par morsure d’acide, celui de Curtis Mann utilise le décolorant de façon contrintuitive, c’est-à-dire pour dévoiler au lieu d’effacer. Ces images, comme celles du Conical Intersect d’origine, font officie de portail ; elles présentent une ouverture perturbatrice, bien qu’éthérée, où l’on s’y attend le moins.
Dans la série Paper Cuts, Curtis Mann détériore systématiquement la surface de papier photographique noir. D’une lame tranchante, il y trace des lignes pures, horizontales, verticales ou courbes, pour en retirer de fines couches d’une émulsion compacte. Taillées à la main, ces lignes sont imparfaites, mais droites ; une allusion à l’immédiateté et au manque de fiabilité de ce laborieux procédé. Paper Cuts promulgue ainsi la biffure comme forme d’anti-dessin. Déterminé à cerner la nature de l’objet, Curtis Mann en défait inexorablement la matière – comme il y parvient avec des décolorants – et le morcèle jusqu’à créer une nouvelle pièce.
Dernièrement, un ensemble de collages petit format, intitulé Paper Fragments, montre un Curtis Mann en prise avec l’influence créatrice de Gordon Matta-Clark. Pour cette série, il a encadré des images de l’artiste dans son studio : des photos arrachées d’un livre de sa possession et sur lesquelles il a collé des fragments de ses propres photographies abstraites, si bien que ces dernières recouvrent la plus grande partie du portrait. Ces œuvres, les plus figuratives, sont également, à cause de leurs contradictions, les plus provoquantes de l’exposition. Lorsqu’il cache les images de l’artiste décédé sous ses propres créations, Curtis Mann reconnaît et nie simultanément l’emprise de Matta-Clark. Un indice apparaît alors : les œuvres de Curtis Mann sont collées au verre du cadre. Les deux sont donc liés, sans jamais pouvoir être réunis.
Carmen Winant
(traduction Yves-Alexandre Jaquier)
Né en 1979 à Dayton, Ohio, Mann vit et travaille à Chicago, Illinois. Il a dernièrement participé à la Biennale du Whitney Museum 2010, dont les commissaires étaient Francesco Bonami et Gary Carrion-Murayari ; récemment, une exposition personnelle de cet artiste a été montée au Jewish Museum of Contemporary Art de Kansas City, Missouri.