Dans un « whiteout », quand la visibilité est nulle en raison de la neige ou du brouillard, on perd le sens de l’orientation, les contours s’estompent et on n’est plus capable de distinguer l’horizon. Lorsqu’on se trouve dans une tempête de neige ou face à un paysage polaire, nos yeux palpitent, les formes deviennent floues et on tente de reprendre le contrôle dans un environnement qui est à la fois vide et compact. La vision, à laquelle on se fiait, doit céder le pas à d’autres sens ; par conséquent on accorde une attention accrue à notre expérience intérieure du paysage monochrome.
La blancheur joue un rôle crucial dans notre vie, que l’on pense aux puissants rayons du soleil, aux premières gouttes nourricières de lait, au drapeau blanc signe de paix, à la feuille de papier qui porte les idées d’un artiste, mais aussi aux matières appréciées pour leurs propriétés esthétiques telles que la perle ou le marbre, ou à la « pureté », et au prestige qui y est associé, de l’espace blanc d’une galerie, le « white cube ». Et pourtant, le blanc est considéré comme une non-couleur. Bien que nous sachions que la lumière blanche est la somme de toutes les couleurs du spectre, une surface blanche est considérée comme neutre et comme inachevée ou nue.
Les œuvres de Daniel Lergon présentées dans cette exposition sont faites de laque transparente étendue sur un tissu blanc rétro-réfléchissant. Ce procédé contraste avec la conception traditionnelle de la peinture comme application de pigments sur une surface, et laisse au contraire la surface elle-même produire la couleur, modulée par un médium transparent. Les œuvres blanches produisent une diffusion de la lumière dans toutes les directions, un épaississement de l’atmosphère de l’environnement immédiat du tableau. La blancheur est dense et moelleuse, s’aplatissant et se renflant, apparaissant et disparaissant selon les mouvements du spectateur. Des figures subtiles et éphémères sont mises en évidence par les surfaces presque vides qui les entourent.
Lergon dit de son travail : « Je m’intéresse au processus par lequel la couleur est créée dans l’interaction entre la lumière et la surface. La surface est chargée d’idées de lumière et la couleur apparaît comme un résultat de la laque transparente troublant la surface de l’œuvre ».
Ses peintures précédentes, où le même jeu d’apparition et de disparition est à l’œuvre, révèlent un intérêt pour la physique et l’optique. Dans les séries Re (2007) et States of Matter (2008), un tissu argenté, à nouveau rendu trouble par une laque transparente, projette des couleurs et des corps de lumière auratiques s’étendant loin au-delà de la surface de l’œuvre.
Emma GRADIN