À travers ses peintures, sculptures et installations, Mark Hagen, qui vit et travaille à Los Angeles, explore la relation entre les systèmes, l’autodétermination et l’expression de soi. Il s’intéresse particulièrement aux paramètres physiques, institutionnels et discursifs de l’art, aux processus de production, à l’action et au travail de l’artiste, à son espace social, et plus largement à la répétition, à l’accumulation et aux limites de la perception humaine. L’art de Hagen répond souvent à un ordre géométrique, d’aspect minimaliste, mais se réfère aussi beaucoup au corps, à l’artiste et au regardeur, ce qui l’empêche de rester purement formel ou abstrait et donc coupé des autres champs d’investigation.
Au cœur de son œuvre matériellement inventive et extrêmement documentée, on découvre les possibles de l’expansion, de la soustraction, de l’amélioration ou de la réorganisation ; il créé dans un geste d’autodétermination qui élargit son action à la fois dans l’espace et dans le temps et correspond à ce que l’on attend d’une œuvre d’art, qui se doit d’être singulière, autonome et fixe. Il parle de sérialité, modularité et reconfigurabilité comme moyens mais aussi comme sujets de son travail, qui aspire à une sorte de nomadisme démocratisé. Son art est constamment à la recherche d’alternatives à nos perceptions habituelles, aux hiérarchies établies et aux narratifs éculés.
Avec Transparency, HH0673, Hagen nous livre une nouvelle série de peintures à l’acrylique sur toile de jute présentées dans les cadres en titane anodisé qui sont devenus sa signature. L’exposition tire son titre de L’Encyclopédie des problèmes mondiaux et du potentiel humain, fondée en 1972 par l’Union des Associations Internationales. Par ce travail, cet institut de recherche basé à Bruxelles tente, de manière astucieuse, ambitieuse et systématique, de cataloguer les maux de l’humanité ainsi que les moyens de les soulager.
Ici, les nouvelles peintures de Hagen travaillent une tension entre hasard et construction méticuleuse : amas rudimentaires de peinture pressés dans des moules, ratissés sur des surfaces, ou encore séchés en feuilles et découpées en formes géométriques, elles deviennent ainsi élaboration et exploration de la peinture à la fois comme image et objet. Pour cette série, plus précisément, Hagen a constitué une bibliothèque tentaculaire et non hiérarchisée de moules en silicone réalisés à partir d’emballages de produits de grande consommation, de rebuts d’atelier, d’objets d’importance personnelle (un matelas de camping, par exemple) ou choisis pour leur valeur poétique ou symbolique. Ces moules - images tridimensionnelles en négatif de la forme souhaitée - sont ensuite peints en couches successives de pâtes acryliques informes qui se solidifient en séchant. Ces moulages de peinture solide sont ensuite retirés des moules et cimentés en place avec la même peinture acrylique, comme on fixe des briques avec du mortier. Cette utilisation de la peinture comme support de moulage a pour effet la matérialisation en volume de couleurs unies, dans une sorte de clin d’œil ironique à la peinture elle-même comme readymade.
Ces tableaux issus de moules sont des objets autoréflexifs dont la nature répétitive se reflète dans leurs formes, facettes et motifs répétitifs. L’utilisation de moules aboutit effectivement à des œuvres à la fois gestuelles et sérialisées, discrètes et continues, linéaires et cycliques, autonomes mais distinctes d’une totalité toujours en potentiel. Ce sont aussi des portraits mimétiques de l’acte même de peindre, de l’acte même de devenir artiste. On peut considérer qu’ils expriment ainsi la tension entre déterminisme et libre arbitre, ou encore la difficulté pour le peintre de choisir dans quelle mesure il doit employer les matériaux et méthodes prescrits, voire même la souffrance de l’artiste face au grand cirque aliénant et normalisateur du ‘monde de l’art’, système parfois paternaliste qui cherche à contrôler et à infantiliser les créateurs.
Enfin, les encadrements de Hagen sont réalisés en trempant du titane dans un bain d’acide phosphorique (acide que l’on retrouve curieusement dans les boissons sans alcool et sodas), puis en y appliquant un courant électrique à différentes tensions. Ce procédé dépose des couches microscopiques de cristaux transparents qui décomposent la lumière en un arc-en-ciel irisé, sans ajout de colorants ni pigments. Hagen rappelle au regardeur que sa perception est limitée au spectre visible : il crée ainsi ce qu’il appelle un memento mori aux limitations de l’homme et aux conditionnements biologiques, qui sert aussi de ‘cadre’ de référence.