Dans son travail, l’artiste berlinois Matthias Bitzer (né en 1975) combine dessin, peinture et sculpture convertissant le tout en un espace sensible sur l’histoire et l’identité. La construction de la mémoire et la reconstruction de la réalité se trouvent au cœur de ses ensembles d’œuvres de plus en plus complexes au fil des ans. La source d’inspiration de ses œuvres, qui est aussi leur espace de projection, repose sur des personnalités historiques souvent tombées dans la marginalité. Dans ses installations, composées avec une grande précision dramaturgique, Bitzer crée des portraits hétérogènes qui reflètent la complexité et le caractère insaisissable de l’identité humaine. L’artiste s’intéresse non pas à une représentation objective globale, mais à une approche profondément personnelle. Bitzer choisit certains fragments et différentes facettes qu’il densifie en les insérant dans un espace expérimental sensuel et suggestif. De la combinaison de ces éléments disparates naît un réseau de traces et de renvois qui prolonge, de façon à la fois laconique et ambivalente, l’espace narratif dans l’esprit du spectateur. Dans ses installations spatiales, Bitzer parvient à interroger la zone limitrophe entre dessin, peinture et sculpture aussi souverainement que celle qui existe entre figuration et abstraction.
Bitzer consacre son dernier cycle d’œuvres à l’un des hommes de lettres les plus fascinants de la première moitié du XXe siècle, le Portugais Fernando Pessoa. Celui-ci a créé de nombreux auteurs fictifs appelés hétéronymes qui se sont exprimés, selon leur socialisation respective, dans des styles d’écriture très dissemblables les uns des autres. Bitzer utilise l’écrivain et poète comme une parenthèse thématique dont certaines œuvres cherchent sans cesse à s’extraire. Dans une série de dessins à la mine de plomb, des portraits et des scènes tirés du contexte personnel de l’écrivain se greffent sur des motifs géométriques en plein format d’une complexité grandissante. Derrière le canevas de surfaces clairement définies, proches de l’Op-Art dans leur qualité, l’image figurative se dissocie en fragments kaléidoscopiques. Grâce à la création de formes et à leur destruction, à la soustraction et à l’addition, surgissent des figures qui basculent entre abstraction et figuration et déploient subtilement cette consistance ambivalente. La dissolution de la figuration culmine dans une série de sculptures dont les courbes et les spirales se détachent véritablement de tout concept de représentation. Cette approche subjective, qui est densifiée de façon atmosphérique, associée à la disparition des repères concrets, répond au caractère insaisissable de Pessoa, sans doute davantage encore que certaines représentations documentaires. Tandis que la sculpture métallique d’une composition rigoureusement géométrique est nourrie de références à Pessoa à travers des fragments de textes, les sculptures amorphes en fil de fer renvoient aux formations en volutes d’une peinture de grand format. Matthias Bitzer réussit ainsi à proposer un débat circulaire qui se développe en continu à l’intersection entre présence et absence, communication et refus, précision et ambiguïté.
Ute Stuffer