La Vie silencieuse
Se promenant, peu importe la date et l’endroit, et soudainement confronté à une porte massive et lourdement fermée, qui ne s’est jamais interrogé quant à la nature des lieux, des gens, des choses et des secrets occultés au regard extérieur par cette clôture ? La curiosité et l’imagination aidant, qui ne s’est jamais projeté, au-delà, dans un espace improbable auquel seules la divagation de l’esprit et la capacité de construction narrative donnent, finalement, une existence potentielle, tant visuelle que spatiale ?
Dans son exposition La Vie silencieuse, à partir d’un corpus d’oeuvres relativement réduit — les travaux présentés étant issus de quatre séries différentes — Ugo Rondinone déploie et décuple l’impact de ces pérégrinations mentales et de ces sensations interrogatives, en jouant de l’énigme et de du bouleversement spatio-temporel.
Car aux côtés de quelques imposantes portes en bois peint, l’artiste a déployé dans l’espace onze toiles de grand format de sa récente série dite des « star paintings », pour la première fois présentées lors de son exposition The Night of Lead au Museo de Arte Contemporáneo de Castilla y León, en juillet dernier. Accrochés très bas sur le mur, afin de permettre au spectateur de s’y projeter plus intensément, elles figurent toutes des étoiles et constellations dans lesquels le regard et l’esprit se perdent et divaguent d’autant plus aisément qu’ils font face à l’inconnu ; un inconnu inexistant, ces tableaux ne faisant nullement office de représentation.
Rondinone déploie ici ce que l’on pourrait qualifier de « dreamscape », un paysage rêvé et purement mental, dont la perception fait osciller entre impressions fugitives de réel et d’irréel, entre caractère sécurisant de la banalité et excitation liée à la découverte du sublime. Brillant dans l’élaboration d’atmosphères singulières où toujours point un fond de mélancolie, l’artiste tisse une toile où l’oeil, le corps, et par-delà l’esprit, se trouvent aux prises avec une certaine sensation de flottement que ne parviennent pas à atténuer les trois masques de la série Moonrise. west (2004), disséminés ci et là.
De nature duelle, entre humanité et animalité, ils ne peuvent ni ne veulent s’acquitter de la tache de repères spatiaux et temporels qui leur semble a priori assignée, préférant à l’inverse entretenir le doute. À l’étage, une ampoule géante suspendue au plafond, The Twenty-first hour of the poem (2008), renforce encore la dimension méditative de l’ensemble, tout en insistant sur une volonté manifeste de parvenir à une sorte de déformation de l’écoulement temporel ; une manière d’entretenir une forme de confusion des sens dans laquelle se complait l’artiste, qui toujours s’interroge sur les possibilités de freiner le cours des choses afin de définir et trouver son propre rythme.
Chez Rondinone, en plus d’être silencieuse la vie est introspective et contemplative. Des qualités d’autant plus notables qu’en imposant à ses oeuvres plusieurs degrés de lecture, il joue finement de la confusion des sens.
— Frédéric Bonnet