Que nous dit l'oeuvre de César aujourd'hui ?
Virtuose technique et formel, le sculpteur emblématique du Nouveau Réalisme des années 1960, a développé une véritable dialectique du geste et de la matière, propre à revitaliser la spécificité de la discipline de la sculpture au XXe siècle : l’assemblage avec les premiers fers soudés, la compression des tôles automobiles et de toutes sortes de matériaux collectés, l’expansion du polyuréthane, l’empreinte et le moulage par le plâtre, la résine, le modelage de la pâte à pain, l’édition en bronze…
La dimension performative et participative de ses expansions en public, sa participation aux actions-spectacles des Nouveaux Réalistes, prologue possible d’une esthétique relationnelle, s’estompent inexorablement avec le temps. Son oeuvre monumentale et les nombreuses commandes publiques qu’il a honorées - ses expansions rutilantes, ses compressions peintes et pimpantes - pourraient le placer du côté de la célébration joyeuse ou ironique de la société des Trente Glorieuses, de la modernité industrielle - un César solaire. Quand ses bronzes, ses autoportraits tardifs nouent un dialogue avec la tradition de la sculpture, avec quelques maîtres parmi lesquels surtout Picasso, et suggèrent une mélancolie voire une certaine morbidité qui résonnent avec sa première pratique de récupération et de recyclage de matériaux industriels usagés, de déchets – un César mélancolique, plus sombre. L’appropriation formaliste et ludique de la réalité urbaine moderne, théorisée par Pierre Restany d’un côté, l’approche de l’objet récupéré et pétrifié que le critique Alain Jouffroy désignait comme un « Pompéï mental », de l’autre.
A propos de ses compressions de carton, César assimile sa sculpture à un acte poétique : « Du déchet industriel, je suis passé au déchet urbain (…). Ces compressions, c’est un peu de la poésie de tous les jours. Les petits riens de la vie… ». Cette inflexion vers un humanisme de la ville l’amène à revisiter ses anciennes effigies en fers soudés, constituées d’une myriade de matériaux collectés, - clous, vis, boulons, ferrailles - par des fontes en bronze parfois retouchées par la soudure. Avec ses figures de femme dont l’emblématique Victoire de Villetaneuse (1965), la créature issue de l’usine de la banlieue parisienne nord rejoint les immémoriales Vénus aurignaciennes. Ses autoportraits tardifs s’offrent comme autant de Vanitas, de commentaires sur l’art de la sculpture, depuis ses faces en pain, invitation chamanique à être mangé et rappel lointain de ses participations à la Eat Art Gallery de Düsseldorf de Spoerri, aux dispositifs de masques – de la référence picassienne des masques africains aux jeux de memento mori baroques.
César construit un hommage à Picasso, génial inventeur de la sculpture moderne, aussi. Tout comme le peintre sculpteur qui a poursuivi passionnément le rêve d’un Monument à Apollinaire, Le Centaure (1986) est une des sculptures les plus complexes et réflexives de César. La bête hybride et mythologique porte la tête de l’artiste surmontée du masque aux traits de Picasso – double identité de la sculpture moderne qui regarde le passé, tendue vers l’avenir, tel l’ange benjaminien.
Aussi, ses gigantesques oeuvres telles que 520 tonnes, la montagne de compressions présentée à la Biennale de Venise en 1995, ne trouvent-elles pas, aujourd’hui, en plein XXIe siècle, une résonnance nouvelle alors que nous sommes pleinement conscients d’appartenir à l’ère de l’anthropocène ?
- Cécile Debray, Directrice du Musée de l’Orangerie et ancienne conservatrice des collections modernes du Centre Pompidou.