Je est-il un autre ?
Par ses grands portraits de femmes évanescentes, représentées dans de gracieux hors-temps et des états ondoyant entre un spleen baudelairien ou une méditation à connotation plus orientale, Ji Xin réalise des tableaux qui ne ressemblent à aucun autre artiste de sa génération.
Les formats sont imposants, même si le plasticien s’attaque parfois à des toiles encore plus vastes, projetant le regardeur devant des modèles quasiment à taille réelle, dotés de déformations de membres ingresques et, pour certains, de grands yeux étirés à la Modigliani. Élégantes, et dans des intérieurs Art Déco qui le sont tout autant, ses interprètes sont essentiellement féminines, confrontant leurs états d’âme à un reflet réel ou imaginaire. Les couleurs sobres se répondent, jouant d’une palette pastel ou ocrée, au sein d’une facture plane. Si ces œuvres affichent une forme d’étrangeté paisible et sereine, elles ne renvoient pas volontairement à des temps modernistes de l’histoire de l’art, comme on pourrait le croire au premier regard. Sans parler de références directes, un peintre admire toujours ceux qui ont enrichis son corpus et qui, pour Ji Xin, se concentrent au sein de la Renaissance Italienne. Il cite ainsi volontiers Sandro Botticelli, Fra Angelico ou Leonard de Vinci, développant de discrets hommages par son propre vocabulaire constitué d’ondulations poétiques, de liens avec l’univers floral, de visages hiératiques et d’une valorisation, voire d’une fascination du caractère féminin, figuré comme une déesse ou une madone. Le fini statique et mutique qu’il octroie à ses toiles favorise un dialogue intérieur, donné à voir dans les tableaux par un double, tel un Narcisse réactivant l’aphorisme d’Arthur Rimbaud qui peut être redéployé en : Je est-il un autre ?
Ji Xin connaît par ailleurs les classiques de la peinture chinoise et une forme de tradition de la scène de genre qu’il aurait actualisée et épurée, ayant en mémoire les « Calendar Paintings », toujours populaires à Shanghai ou, si l’on remonte au 18ème siècle, les représentations de la Dynastie Qing, à l’exemple de celles de Leng Mei. Mais il aime encore davantage ceux qui ont nourri des ponts entre les cultures orientales et occidentales. Si Henri Matisse s’était laissé séduire par la calligraphie chinoise, on connaît peut-être moins en Europe Lin Fengmian, l’un des premiers artistes chinois à être venu étudier à Dijon, puis à Paris, de 1918 à 1925. Son doux style figuratif dépeignait des élégantes en intérieur ou entourées de fleurs. Quand SanYu, installé à Montparnasse dans les années 1920, et qui fut d’ailleurs l’ami de Matisse, représentait corps féminins et végétations dans des univers éthérés. Ji Xin cultive ce lien entre les deux mondes et, sans imposer de temporalité claire et reconnaissable, évoque pour ses protagonistes une retraite choisie et une solitude plus propice à la méditation qu’à la désillusion. Réalisées également avec ce qui peut l’entourer à l’atelier - tel élément de mobilier ou telle fleur qui renverra à une saisonnalité précise de l’année - les toiles s’imposent par leur quiétude. L’absence de multiplication d’ornements permet de concentrer le regard et la pensée sur le sujet de l’intimité et de tenter de comprendre la présence de cette figure ambigüe du double. Personnifie-t-elle le subconscient ou un guide spirituel ? Ou s’agit-il aussi d’une métaphore de l’acte créatif, poétique et d’une pensée qui, en nous échappant, valorise le dépassement de soi ?
— Marie Maertens, critique