Au fil des décennies, l’artiste Wes Lang n’a cessé de perfectionner une technique fondée, entre autres, sur l’exploration incessante et quasi-obsessionnelle du paysage américain Post-Pop. À de rares exceptions, ses influences sont étroitement liées à une expérience autobiographique particulière : Indiens d’Amérique et autres totems de l’Ouest américain, mais aussi peintres et sculpteurs du milieu du siècle dernier comme Twombly, Guston, Kline, Mitchell ou Bacon, voire des profils plus contemporains comme Basquiat, Kippenberger ou Mike Kelley. Jusqu’à présent, Lang a surtout laissé sa marque sur toile et sur papier, même s’il s’est parfois essayé à d’autres supports : sculpture en bronze coulé, collage, papeterie d’hôtel, tissu, verre ou métaux précieux. Les surfaces qu’il créé frémissent ; ses mélanges détonants débordent d’une iconographie élégamment rendue, toujours un peu brute, faite de funestes faucheuses, de chefs indiens, d’icônes déchues de la country, de vamps sensuelles, de légendes oubliées, d’écrivains morts, de motos, de roses et autres plantes, d’oiseaux, de chevaux… autant de motifs qui se disputent la place d’honneur dans des compositions reliées (et résolues) par de mystérieux gribouillis évoquant le vernaculaire doux-amer de Ram Dass ou le Taoïsme, en passant par les marges de l’univers.
Lang suit un processus fébrile et minutieux pour tracer ses marques, dans sa quête permanente de sens – ou de simple vérité, peut-être – et ses toiles sont susceptibles de comporter plusieurs compositions antérieures enfouies sous une couche superficielle. Ces éléments cachés – fantômes, ou laissés partiellement découverts – continuent de couver en leur sein. On pourrait dire de l’approche de Lang qu’elle tient du rituel de révélation physique et métaphysique, réalisé coup de pinceau après coup de pinceau, où références et thèmes refoulés remontent à la surface comme autant d’éléments essentiels. Malgré son iconographie variée, Lang affirme que le cœur de son œuvre existe entièrement par l’autobiographie, corrélatif objectif avéré où l’expression de l’artiste est une sorte de miroir déformant qui reflète vie intérieure et quête extérieure. L’esthétique de Lang est ultra-cool, c’est entendu - mais elle parvient toujours à éviter consciemment les écueils du « joli ». Naturellement, il marche parfois sur les braises en se réservant la possibilité d’une apparente vulnérabilité, ce qui n’est pas toujours le cas chez les artistes qui manipulent une imagerie populaire. Quand Wes Lang s’attaque à une surface, il nous montre un fragment de son pèlerinage profondément personnel, un récit encouragé dès l’origine par une mère qui a non seulement transmis au jeune artiste le Rubik’s cube mystique que constitue le Tao Te King, mais a également transformé son regard en l’emmenant voir une rétrospective de Robert Rauschenberg au Guggenheim.
La nouvelle exposition de Wes Lang à la galerie Almine Rech Paris marque une étape majeure dans son œuvre en constante expansion. Même si elles restent visuellement cohérentes avec son travail antérieur, les nouvelles toiles présentées ici semblent indiquer que la voix de l’artiste est plus réalisée, plus individualisée. Ses inspirations, ses influences formatrices paraissent pleinement intégrées à ses compositions, lui laissant plus d’espace pour montrer ce vers quoi son travail tend ostensiblement depuis toujours. En des termes plus littéraires, Lang a pleinement assimilé ses références : il va maintenant de l’avant, fort de cette liberté nouvelle et durement gagnée. L’artiste dit de son travail qu’il porte souvent sur le passé, le présent ou un mélange des deux. Et pourtant, en terminant un ensemble de tableaux avant ceux que l’on découvre ici et consacrés exclusivement à son passé le plus profond, Lang a déclaré se sentir libéré comme jamais auparavant, mieux à même d’ouvrir les vannes de la création et d’accomplir son œuvre entièrement ancrée dans le moment présent.
La genèse du nouveau travail de Wes Lang a pour origine une pièce unique, exécutée il y a près de deux ans, et que l’artiste a gardée accrochée au mur de son atelier jusqu’à ce que l’inspiration et l’élan se révèlent complètement et en fassent le catalyseur de toute une série. L’œuvre en question, We Worship The Good, est une toile de 274.3 x 426.7 cm représentant une assemblée de chefs indiens, le regard fixe, dont il émane confiance et fierté. Une fois la glace brisée, un groupe de portraits individuels, plus petits, a rapidement suivi. Lang estime que ces compositions ont un caractère plus joyeux que ses précédentes œuvres consacrées au même sujet ; de fait, elles sont plus colorées – les plumes de la coiffe sont teintées de rouge vif au lieu du noir habituel – et évoquent une sorte de vivacité, d’intensité dont il dit qu’elle reflète la sensation générale de bien-être, appréciée et attendue depuis longtemps, qu’il ressent dans sa vie personnelle. D’autres toiles plus grandes figurent des masques rituels de mort et de danse, des têtes de bisons, des récipients amérindiens - dont le vide et l’ouverture sont des clins d’œil à la philosophie du Tao – le tout, comme toujours, saupoudré de crânes et de squelettes, totems emblématiques de l’urgence éphémère de sa mission et présents dès l’origine dans ses compositions. En même temps, on ressent un frémissement dans ses œuvres sur papier, dont nombre représentent la compagne et muse actuelle de Lang, à l’instar de cet autre petit ensemble informel de toiles précieuses.
Pour reprendre les mots de l’artiste, il s’est senti obligé de faire varier l’échelle des œuvres exposées « du timbre-poste au semi-remorque, et tous les formats intermédiaires ». Remarquons également le choix de l’artiste, inédit, d’exécuter l’ensemble de l’exposition à l’huile, lui qui travaillait essentiellement à l’acrylique ou à l’huile en bâton, ce qui a tendance à donner des compositions plus aplaties et bidimensionnelles centrées sur le premier plan. Cet emploi exclusif de la peinture à l'huile créé un champ visuel beaucoup plus riche : les rendus de personnages et d’objets y sont comme suspendus dans l’espace noir profond des surfaces. On notera aussi l’absence totale de texte, élément pourtant central et déterminant dans l’œuvre de Lang depuis le début.
Si We Worship The Good est à l’origine de l’exposition, Glory Be... en est sans doute la pièce maîtresse : c’est une toile tentaculaire de 1463 x 335.3 cm, récit visuel représentant le début, le milieu et la destination finale prévue du temps que l’artiste aura passé sur terre. Pièce vaste et monumentale, Glory Be... foisonne d’éléments emblématiques de l’œuvre de Lang, même s’il faut noter qu’elle rappelle encore beaucoup la force minimale caractéristique de son travail le plus récent.
Arty Nelson