« L’œuvre de Alex Israel, est le portrait d’une ville, le portrait de Los Angeles. Ce n’est ni un portrait nostalgique, ni critique, ni sociologique, ce n’est même pas à proprement parler une déclaration d’amour, bien...
« L’œuvre de Alex Israel, est le portrait d’une ville, le portrait de Los Angeles. Ce n’est ni un portrait nostalgique, ni critique, ni sociologique, ce n’est même pas à proprement parler une déclaration d’amour, bien qu’évidemment tout cela soit quand même un peu au programme. Ce qui la distingue cependant, c’est l’endroit exact de ce portrait, on dirait même le lieu et l’heure, car c’est le portrait de Los Angeles maintenant – voilà pour l’heure. Pour le lieu, disons que c’est un portrait tracé depuis l’endroit même où se tient son auteur, un jeune homme de trente ans qui s’épanouit sans culpabilité dans la réalité économique, culturelle et technologique de son époque et de cette ville, justement.
Le dégradé appliqué aux larges toiles par un peintre décorateur de la Warner Bros se situe entre le coucher de soleil et l’écran de veille « spectrum », à l’endroit exact de la géographie de cette œuvre, elle-même là où se rencontrent éventuellement les clichés du cinéma Hollywoodien et l’énergie du monde connecté. Moins, d’ailleurs, que des couchers de soleil des films hollywoodiens s’agit-il de ceux des programmes télévisées renvoyant spécifiquement à Los Angeles qu’Alex connaît parfaitement, de Melrose Place à The O.C. et jusqu’aux extraordinaires Selling Los Angeles, Million Dollar Decorators et Million Dollar Listing, sans distinctions véritable entre ce qui ressort de la série télévisée et ce qui émarge à la catégorie aujourd’hui particulièrement déconstruite de la Reality TV. Israel s’y est collé très directement, dans un premier temps en réalisantRough Winds (2010), Web Series en 10 épisodes, sans dialogues, et qui met en scène un ensemble de personnages s’ébrouant sans gène mais avec difficulté dans l’aisance californienne telle que souvent dépeinte dans les séries télévisées localisées à LA, ceux-ci résolument profilés comme autant d’archétypes du genre : un détective privé, une mère alcoolique, une gamine victime de l’overdose, des surfers, etc. Il plane là dessus comme le fantôme du Bret Easton Ellis des débuts, qui d’ailleurs figure au casting de la production suivante d’Israel : As It LAys, talk show où il passe à la question d’épiques figures de LA : Marylin Manson, Larry Flint, Whitney Port, Stephen Dorff, Melanie Griffith, Rosanna Arquette, Oliver Stone, Paul Anka, Perez Hilton, Quincy Jones et, parmi d’autres encore, Darren Star, le créateur de Melrose Place et Beverly Hills 90210. A lui comme aux autres, Alex pose dans un ordre aléatoires des questions remarquablement variées (« Still or Sparkling ? », « Do you believe in reincarnation ? ») d’une voix sans entrain particulier. Les réponses n’entrainent jamais de prolongement. Le dispositif (désormais dans la collection du MoCA de Los Angeles) reprend le dégradé qui se retrouve sur les « peintures à vendre », chaque élément de l’œuvre entière d’Israel semblant d’ailleurs promouvoir tous les autres, dans un loop forcément instruit des stratégies marketing ordinaires. De même, les acteurs de Rough Winds portent les lunettes de soleil de la marque créée par Alex, Freeway Eyewear, qu’il dirige en businessman et déclare volontiers ne pas ressortir du champ de sa pratique artistique – mais présente cependant dans l’exposition du Consortium. “My sunglasses are not my art, it’s just a sunglasses brand, and it’s important for me to be clear about that, that not everything that I do has to be art. I like working in different platforms, I’m interested in various media, sometimes it’s art and sometimes it’s not. But when it came down to making my sunglasses it was really important to me that they drove the same vocabulary of references that was inspiring my work. A lot of those things relate to the aesthetics that are very regional in southern California.”
(…)
Alex Israel est de ceux qui, d’une compréhension parfaite du système et de sa connaissance intégrale, ont fait une arme pour investir (et non pas dévaster ou tristement exploiter) le système contemporain de l’industrie de l’art, ménageant l’impression destructrice et son contraire, bref, inventant pour eux-mêmes une démarche aussi gracieuse que possible dans un paysage aux anfractuosités identifiées. Comme Tino Sehgal, Israel – et ce n’est pas un trait commun à ceux de sa génération – est bien au-delà du cynisme, bien au delà de l’opportunisme. Il s’agit encore pour lui d’inventer des choses malgré ce qu’il sait (ce que nous savons) de l’art, de donner à cette ambition les moyens qu’elle mérite sans se tromper sur cette idée même de moyens. L’époque fourbit à l’envi des chapelets d’œuvres qui se présentent avant tout comme critiques : elles sont fondées sur le désamour. Celle d’Israel, à l’inverse, est portée par l’amour qu’il voue à cette ville, Los Angeles, à la culture qu’elle incarne, à la manière dont l’époque s’y cristallise. C’est un retournement très « pop » des valeurs, et il y a en effet chez lui une fascination plus que Warholienne pour les choses et les gens. Il célèbre les couleurs du ciel de Los Angeles comme l’autre célébrait la soupe en boites, échange Liz Taylor contre Vidal Sassoon ou Bret Easton Ellis. Mais c’est le même procédé de célébration joyeuse, d’admiration avouée, de fanatisme revendiqué. »
Eric Troncy
(adapté du texte « Alex Israel » par Eric Troncy publié dans Frog n°12, mai 2013.
L’exposition est réalisée avec le soutien généreux de la FABA – Fundacion Almine y Bernard Ruiz-Picasso para el Arte –, de Almine Rech Gallery et de Peres Project, Berlin.