Brian Calvin est un artiste dont les méthodes sont à la fois modestes et expansives. Depuis trois décennies, il se consacre à la représentation de la figure humaine - surtout des visages, surtout en particulier des femmes. Dans le cadre de ces limites qu’il s’impose (et auxquelles il renonce parfois, évidemment), Calvin a su créer un ensemble d’œuvres à la fois insaisissables et familières, séduisantes et touchantes, pleines de références historiques et résolument contemporaines.
More fait suite à sa précédente exposition chez Almine Rech, More Days - déjà un clin d’œil au titre d’une de ses toutes premières, simplement intitulée Days. Toutes les images de l’artiste développent celles qui les ont précédées, à la fois dans son œuvre et plus largement dans les canons de l’art occidental et mondial. C’est un artiste qui, selon ses propres termes, considère la peinture comme un processus « de longue haleine ».
Calvin explique que c’est ‘à rebours’ qu’il a découvert Picasso, dont les portraits cubistes synthétiques influencent explicitement son travail depuis 2020. À ses yeux, le cubisme est un moyen de faire figurer plus d’informations dans un contenant cadre pictural donné. Plus de temps, plus d’espace, plus de couleur, plus de texture, plus de motifs et d’ornementation : Calvin commence par évider les visages, les réduisant à des formes élémentaires, puis les remplit à ras bord, à la limite du débordement.
Dans de précédents travaux, Calvin s’est essayé à des compositions de figures multiples, faites de visages empilés, alignés, formant des ensembles complexes enchevêtrés dans un espace pictural peu profond. Dans cette nouvelle exposition de peintures à l’acrylique et de dessins au pastel, les visages seuls dominent, même si le cubisme permet à Calvin de représenter des points de vue multiples au sein d’une unique tête cadrée serréétroitement.
Les tableaux sont remplis à bien d’autres titres. Prenez par exemple les yeux des personnages de Tilt ou Draper : les iris se cristallisent en différentes parties d’une complexité psychédélique ; les ombres et le maquillage qui cerclent les yeux explosent en motifs éblouissants. La couleur, que Calvin déploie depuis toujours pour son effet envoûtant, tend ici vers la saturation maximale.
Malgré les excès extravagants de la palette et de l’ornement, les tableaux de Calvin restent ancrés dans une tradition réaliste. Ces visages appartiennent à notre monde ; ce sont des personnages que l’on peut s’imaginer rencontrer, dialoguer avec ou, à tout le moins, découvrir sur nos écrans. Ils sont pleinement réalisés et parfaitement concrets, même si, à la réflexion, on voit rarement des fards à paupières bleus et verts aussi chargés à notre époque.
Cet équilibre entre spécificité et abstraction, naturalisme et idéalisme, est ce qui fait tout l’attrait de sa peinture. Calvin a cette faculté remarquable de capter certaines caractéristiques - la timidité, parfois, l’anxiété, ou l’hésitation - qui distinguent ses images de la plupart des représentations de la femme dans les médias classiques (quelle photo de top-modèle, par exemple, peut se targuer d’exprimer ne serait-ce que la moitié de la vie intérieure qu’on trouve chez les muses de Calvin ?) Et pourtant, ces femmes ne sont finalement rien d’autre que les produits de son imagination, personnages peuplant un monde qui est sa construction esthétique propre.
Quand la représentation d’un visage n’est-elle pas un portrait ? Les tableaux de Calvin testent les limites du genre. Contrairement à son exposition précédente, More Days, aucune des œuvres ici ne porte le nom de son sujet. Même si chacune incarne une identité distincte, il est permis de se demander si toutes ces identités correspondent vraiment aux personnes qui pourraient les avoir inspirées, ou même si elles seraient capables de se reconnaître dans ces représentations. Il est bien sûr impossible de savoir si le moindre visage que nous montrons reflète notre vrai moi intérieur. Le tableau Backstage de Calvin, où les cheveux blonds sont tirés en arrière comme des rideaux de théâtre, présente le visage comme façade, plateau sur lequel un drame peut se dérouler, mais reste irrémédiablement un écran opaque.
L’auteur de ces portraits de jeunes femmes est aussi époux et père de deux filles ; on ne peut donc envisager son œuvre sans prendre en compte la beauté. Dans nombre d’images, ce sont les femmes elles-mêmes qui se font belles - en piquant des fleurs dans leurs cheveux, par exemple, ou en se maquillant – bien qu’elles ne correspondent souvent pas aux normes de la beauté aseptisée en vigueur dans la mode ou le show-business. Calvin ne flatte peut-être pas ses sujets, mais il les envisage avec empathie, admiration et respect. Son travail est depuis longtemps admiré pour son charme facile et rapide, parfois même sa beauté ; mais au fil du temps, on y découvre quelque chose de plus nuancé, de plus ambivalent, de moins insouciant. Quelque chose qui prend racine et s’épanouit dans l’interstice qui existe entre les apparences extérieures de ses sujets et leur vie intérieure.
- Jonathan Griffin, écrivain et critique d'art.