Almine Rech est heureuse de présenter Dialogues, une exposition collective réunissant des œuvres de Karel Appel, Don Brown, Agustín Cárdenas, César, Günther Förg, Sylvie Fleury, Carlos Jacanamijoy, Annie Morris et Mimmo Rotella.
Ces œuvres d'artistes majeurs font écho, pour certaines, à la pureté. Ainsi du bronze de Don Brown, Eriko (2021), montrée pour la première fois à la galerie : une jeune fille recroquevillée au sol sur elle-même, juchée sur un socle du même noir profond. Elle pourrait, au premier regard, sembler prolonger la sculpture antique ou le néoclassicisme romain de l'Amour et Psyché de Canova. Son habit, néanmoins – un body –, l'ancre sans aucun doute dans notre époque. Sa fragilité, sa délicatesse, renforcées par la hauteur surdimensionnée du socle, en font une parfaite allégorie. Dans sa quête de la grâce et du sublime, Don Brown est conduit par un sens du détail et de l'épure prodigieux, où toute idéalisation s'est évaporée.
Une autre pureté tangible se dégage dans la nouvelle œuvre de la Britannique Annie Morris, qui pratique aussi la peinture, le dessin et la tapisserie, a étudié à l’École des Beaux-Arts de Paris sous la direction de Giuseppe Penone. Elle fait partie de sa série emblématique de tours de sphères colorés (Stacks). En équilibre fragile, sculptées dans le plâtre et le sable, ces boules minérales recouvertes de pigments purs – rouge de cadmium, bleu outremer et vert émeraude notamment – sont empilées sur un socle de béton d'une verticalité semblable. L’œuvre enchevêtre figuration et abstraction, expérience personnelle et collective.
A l'opposé de cette pureté mais avec une volonté parente de saisir la fragilité, l'huile sur toile (Personnage, 1969) et la sculpture peinte (Head, 1975) aux couleurs bariolées de Karel Appel, cofondateur du mouvement Cobra en 1948, oscillent entre le grotesque expressionniste et le comique populaire, l'animalité et le dessin d'enfant. Leur ressemblance avec un art brut débridé mais minutieux les font entrer sur le territoire de l'inconscient.
La nouvelle production de la série des Eye Shadows Paintings de Sylvie Fleury (Cheek Fabric (Peach)) témoigne de la fascination que la cosmétique et ses palettes de couleurs exercent sur l'artiste suisse, tout en s'installant dans le champ du monochrome et du tondo. Avec l'ironie à la fois douce et incisive qui caractérise son œuvre polymorphe dotée d'une intelligence féministe hors pair, ce tableau ovni aux pigments pailletés dépasse la pratique post-duchampienne. L’œuvre questionne en effet le paradigme masculin/féminin autant que la vanité du monde ou la manière dont le monde de l'art se fabrique. Sylvie Fleury réalise ici une œuvre figurative, puisqu'elle représente un objet de maquillage, qui est aussi une peinture monochrome.
Dans la plupart des œuvres de ces Dialogues, la sensualité rayonne. Évidente chez Sylvie Fleury et Don Brown, elle se nourrit de primitivisme chez le Cubain Agustín Cárdenas pour produire une inquiétante étrangeté. Ses deux bronzes noirs, La Fiancée du cheval (1984), aux allures de totem, et l'anthropomorphique Bouba (1974), regardent également du côté de la sculpture moderniste aux franges de l'abstraction, celle de Arp ou de Moore. Agustín Cárdenas est aussi reconnu pour avoir réalisé, dans un héritage plus classique, de nombreuses tailles directes sur marbre de Carrare.
Figure capitale de la postmodernité et de la nouvelle peinture allemande, créateur d'une abstraction jamais encline à reproduire deux fois une même manière, ni à répéter les mêmes décisions, Günther Förg est fasciné par la capacité de la peinture à se manifester d'elle-même, dans sa physicalité, sa matérialité et ses tonalités chromatiques. A construire son propre espace architectural, d'où surgissent les questions de l'utopie, du rapport à la nature, du passage ou de la suspension du temps, des signes manifestes de la modernité, de Mondrian à de Kooning, des façades des immeubles du Bauhaus à Cy Twombly ou encore au motif de la grille. Dans ce Gitterbilder de 2002, la gestuelle singulière de Förg, le recouvrement en strates des bleus et des jaunes et la texture particulière qu'apporte le bois du support, convoquent sensualité et pudeur.
Les géographies pop de César et de Mimmo Rotella, qui fit également partie de Nouveaux Réalistes, entretiennent entre elles un dialogue immédiat. La galerie présente des œuvres des dernières années de l'Italien, celles des années 2000. Bien plus tôt, en 1953, Mimmo Rotella découvre que l'affiche publicitaire peut servir de matériau à ses œuvres d'art. Célèbre pour ses « doubles décollages » d'affiches, d'abord réalisés dans les rues de Rome puis dans son atelier où il les maroufle sur toile, il travaille ces années-là à partir de l'affiche du non moins célèbre Sept ans de réflexion joué par Marilyn Monroe, de celle d'un film avec Elvis Presley ou du Gangs of New York de Martin Scorcese, pour laquelle il ajoute de la peinture et des morceaux de papier monochromes. Il établit alors un nouveau langage de la rue, poétique et aux touches abstraites, renouvelant les possibilités du tableau.
Même mouvement du quotidien de la ville vers l'atelier dans l'une des ultimes compressions de César, Compression Monaco (bleue), série magistrale dans son œuvre. Voitures de rallye, tôles issues de panneaux publicitaires, papiers ou bijoux, le Français a compressé de nombreux objets. Ce sont des brocs rehaussés de peinture émail que le prince de la casse automobile a défiés en 1994, dans une œuvre rare proche du bas-relief.
C'est davantage dans la nature, la jungle colombienne plus précisément, que les paysages abstraits, atmosphériques, colorés et luxuriants de Carlos Jacanamijoy trouvent leur inspiration. Emprunts de color field américain, ses deux nouvelles peintures de grand format titrées Caminos de agua et Caminos de luz marquent la première présentation de l'artiste colombien à la galerie. Pas tout à fait abstraites, presque paysages, ces peintures créent un espace d'une profondeur hypnotique intense et spirituelle, où affleurent la mémoire de la nature comme expérience perceptive, un imaginaire de contes et une universalité fascinante.
— Charles Barachon