Vous êtes-vous jamais demandé pourquoi vous embrassiez quelqu’un ? Été frappé par la dichotomie entre l’idée et les conséquences, tout en vous abandonnant plus encore dans l’étreinte ? C’est un espace liminal délimité par l’opprobre, la dissociation, la fragilité et l’extase, où l’innocence et le mal se mêlent dans un tourbillon d’excitation. C’est une fraction de seconde teintée de regrets. Nous sommes pourtant submergés par le désir, et les pensées fugaces d’un possible retour ne font qu’alimenter la rationalisation de nos actes. Nous devinons que la négativité n’est que soubresaut de notre conscience humaine, alors que nous ne voulons rien d’autre que de nous sentir animal. Nous voulons nous sentir sauvages et libres, magnétiques et audacieux, du moins l’espace de ce moment éphémère. Peu importe que ce ne soit ni naturel, ni réel.
C’est ici qu’Amanda Wall s’épanouit : elle nous montre nos désirs, puis nous force à deviner.
Souvent, les figures d’Amanda Wall savent exactement ce qu’elles font. Elles se traînent lentement à genoux, elles rampent vers vous avec un regard déterminé. Leurs culottes enfantines recouvrent une énergie sexuelle primordiale, paradoxe énigmatique dont elles savent pertinemment qu’il nous excite. Elles savent que les poils se dressent sur la nuque, que nos paumes sont humides, qu’on les désire. On veut les posséder. Elles sont l’objet de notre désir. Un objet à posséder. Mais chez Wall, on voit le côté humain de l’objet – ici, les orteils. Morceau de chair si souvent ignoré, masqué par des chaussettes, des chaussures, des couvertures, ou replié sous les cuisses. Chose intime, réelle, humaine qui brise l’illusion de l’objectification pure. Est-il si mal d’avoir souhaité la posséder ? Est-il si mal qu’elle ait désiré, ne serait-ce qu’un instant, être possédée ? La domination n’est pas sans ses côtés nihilistes : c’est l’instantané que Wall capture. Silvering saisit ces instants pour créer l’inconfort. Nous sommes forcés de vivre ainsi contrits.
En parcourant l’exposition, on commence à ramper, à vouloir être possédé : prémonition réelle, ou pas. On se dissocie dans ces désirs primaux avant de passer à l’hyper-réalité ; son sujet est parfaitement conscient des décisions qu’elle a prises. Des actions qui hantent son regard vague, troublé, alors que ses boucles d’oreilles en plastique luisent au soleil. Des coups de poing métaphoriques tenant de la nature morte nous accordent une respiration : fleurs aux couleurs vives qui se fanent, même si leurs homologues faits de soie sont éternels. Rien de plus naturel pour l’homme que de dépérir face à la puissance de l’artifice. Nous n’avions aucune chance. Une apathie indéniablement humaine, même si elle s’inspire des chuchotements invisibles de la modernité qui sont intensément faux.
Silvering incarne la maturation de cette plongée philosophique. Ses précédents travaux, constitués de palettes plus chaudes fondues dans des tons chair, s’orientent à présent vers des tons verts et bleus plus froids. La palette évoque un étrange sentiment de sérieux qui flotte sur sa subjectivité. C’est une puissante étude de couleurs qui rappelle à la fois la science-fiction d’aujourd’hui et le folklore d’antan. On pense à Matrix et au serpent Kundalini, à ces récits qui parlent du malaise ressenti quand on se réveille en sursaut, rongé par l’impression diffuse que rien de tout cela n’est réel. Une impression que Wall ne manquera pas d’évoquer avec force, je vous le garantis.
— Alexis Schwartz