Nature Always Wins est la deuxième exposition personnelle de Daniel Gibson chez Almine Rech et sa première en Europe. Articulée autour d’une sélection de peintures, Nature Always Wins nous plonge dans les thématiques chères à l’artiste et nous rappelle les intimités culturelles, les peurs contournées et l’immuabilité des cycles de la nature.
« La curiosité l'emporta sur la peur et je ne fermai pas les yeux » - ainsi conclut la voix intérieure du narrateur dans la dernière ligne de la nouvelle de Jorge Luis Borges, There are more things. L’exposition Nature Always Wins est un prolongement de cette affirmation, une concession pressante, une étude décrivant sans parti-pris la confrontation de la connaissance. Nature Always Wins ne pose pas la nature comme adversaire de l’existence humaine, mais plutôt comme la garantie d’une sorte de paix pour celui qui comprend le flux et la puissance d’une force qui se régénère toujours.
Produit d’interlocuteurs variés, Gibson apporte sa pierre à la sémiotique de la découverte subjective par la peinture sur surface ; ses influences vont de l’expressionnisme allemand aux allégories de l’Ouest américain, en passant par le temps passé dans la « double conscience » définie par W.E.B. Du Bois. Comme la nature elle-même, Gibson s’améliore perpétuellement, les yeux grands ouverts ; il dépasse l’ostracisme et les diktats imposés à l’altérité en créant des opportunités - curieux contemporains déterminés à définir la réalité et à glorifier le gagnant - parce que la nature gagne toujours.
Peinture à dominante bleue, Turning Into A Cricket With Red Flower présente une figure humanoïde plus grande que nature ; allongée sur le ventre, paume à plat et coude dressé vers le ciel, elle imite le corps anguleux d’un criquet. Son visage en forme de masque, fait de lignes, de couleurs et de plis, nous fixe ; son regard brise le quatrième mur. Posture qui interrompt le repos du personnage, qui semble se redresser et avancer, brisant ainsi l’immobilité mélancolique souvent associée à la figuration quand elle fait appel à des teintes bleutées. Les criquets occupent une place particulière pour Gibson, réfugié dans son atelier dès le début de l’immobilité collective provoquée par la pandémie et dans les mois qui ont suivi. Les stridulations d’un couple de criquets emplissaient alors son atelier avec une régularité de métronome, lui apportant compagnie et ancrage – pas d’autre choix alors que de cohabiter.
Entouré d’un ciel rouge-rosé flamboyant, un tournesol épanoui, la tête fixée à une tige résolument violet fauviste, s’élève telle une comète traversant Crossing Through The Meadow. Placé au centre et entouré de tous côtés d’une épaisse peinture marron représentant les fleurons du disque du tournesol, un crâne gris graphite laisse entrevoir le lin brut sur lequel il repose, allusion à un procédé révélé. Les pierres empilées au premier plan sont animées par des profils au trait de visages quasi-humains qui en épousent les contours. Des fleurs robustes et saines partagent l’espace avec les pierres, ornements d’une oasis cachée de prairies en fleur et d’eaux paisibles. Une famille de cinq silhouettes, unifiée par la couleur, se blottit, toute petite, le long d’une lointaine ligne d’horizon, accentuant encore cette terre découverte qui lui offre un répit.
Confluence audacieuse de noir & blanc et de couleurs, le paysage éponyme Nature Always Wins représente une machine de guerre monochrome et son maître semblant quitter la toile par le bord gauche. Elle broie la roche, écrase les plantes et nivelle tout sur son passage, y compris un tournesol fraîchement détruit, laissé là au centre de la piste tracée par la machine. Et pourtant, le tableau Nature Always Wins montre aussi la nature effaçant activement la présence de la terrible machine, remplaçant chacune de ses destructions par de nouvelles pousses de fleurs et de feuillage. Curieuse observatrice, une grande fleur rouge aux pétales resserrés se dresse, sa mince tige émergeant d’un tas de pierres, surveillant la scène comme une sorte de contremaître. Même le ciel violet profond offre à cette terre reconditionnée un nouveau tournesol, sur une tige du même violet atmosphérique – parce que la nature gagne toujours.
Nature Always Wins est une lumière qui nous rappelle le chemin que l’on emprunte toujours quand nos perceptions et convictions d’une chronologie anthropocentrique sont remises en cause. Une fleur, engendrée par un ancêtre disparu, naît à la vie. Fissure béante, comme une pousse enfouie dans la terre qui pousse à toute force et perce. Elle se nourrit du rayonnement électromagnétique, elle grandit et s’épanouit, elle vit ses cinq étapes après avoir fait le don d’un successeur. Ce qui apparaît comme un crescendo grandiose et son final n’est en fait qu’un recommencement dont on peut être sûr qu’il se répétera encore et encore, parce que la nature gagne toujours.
— Nilay Lawson