More Days, la nouvelle exposition de Brian Calvin qu’accueille l’espace de la galerie Almine Rech avenue Matignon, regroupe dix nouvelles peintures réalisées pour l’occasion au fil des mois de la pandémie. Le titre fait inévitablement penser à la phase d’isolement forcé que le monde entier a subie, sorte d’itération amorphe et sans fin apparente des mêmes choses, dans un univers physique et mental qui ne cessait de se rétrécir avec le temps.
Mais More Days évoque aussi l’expérience cumulative qui caractérise la pratique de Calvin, dans laquelle chaque jour apporte de nouvelles découvertes, de nouvelles façons d’appliquer la peinture sur la toile, d’aborder les compositions, d’arranger les couleurs, sorte de quête permanente où chaque œuvre doit être le reflet d’une perspective nouvelle. Le titre rappelle également Days - l’une des premières grandes expositions solo de Calvin en l’an 2000 à la galerie Marc Foxx de Los Angeles, aujourd’hui disparue. On mesure ainsi le temps écoulé dans une carrière qui s’étend maintenant sur plusieurs décennies, et dans une œuvre qui a nécessairement évolué depuis ses débuts.
Elle ouvre aussi des perspectives plus larges, vers tout ce qui reste à faire pour un peintre qui a su tranquillement tracer sa propre voie de manière excentrique - c’est-à-dire loin des grandes capitales artistiques du monde – ce qui lui a conféré la liberté d’explorer les moyens de faire avancer la peinture (la sienne, mais aussi la peinture en général) et de se consacrer aux questions formelles. Dans la période récente, qui a vu le retour de peintres figuratifs concernés avant tout par le contenu et le sujet, Calvin n’a au contraire jamais cessé de condenser les préoccupations picturales au sein de genres établis à l’histoire bien définie (essentiellement le portrait et le paysage), pour les réinventer en éléments qui, même s’ils sont reconnaissables au sein de ces catégories, n’y appartiennent pas totalement. Ses peintures sont des images de personnages ou de lieux inventés, pas de véritables représentations de personnes réelles, de paysages réels. Les nouvelles peintures exposées ici prolongent ainsi le travail de Calvin sur ses portraits de personnages allongés et hiératiques pour lesquels il s’est fait connaître, avec des images de différents formats souvent inspirées du cubisme historique ; on y trouve des évocations du Portrait de Dora Maar de Picasso (1937), par exemple dans Big Scene ou Middle Distance.
Au-delà des références évidentes, il apparait vite très clairement qu’ici, l’enjeu est l’exploration de la composition et de la couleur, les traits des visages servant de points d’ancrage ou de signifiants destinés à attirer l’attention du spectateur. Les éléments figuratifs ne sont que des instruments permettant d’explorer de manière plus formelle et abstraite ce qui constitue une peinture. Là où l’œil serait d’abord tenté de prendre Close Quarters pour une image en miroir, une observation plus attentive révèle une séquence de figures bien plus complexe, où une couleur ou une ligne ne répond pas exactement à l’autre, où le nombre de visages réellement représentés n’est pas si facile à déterminer. La symétrie est si fortement décalée qu’elle produit une sorte de vibration qui pourrait même s’avérer visuellement perturbante ou déstabilisante pour certains. Parfois, un visage compte des yeux ou des bouches en surnombre (Face Paint), ou les deux yeux sont représentés du même côté du visage (Bobbi, Big Scene) ; dans les scènes figurant plusieurs personnages, les carnations des visages servent plus à équilibrer la composition qu’à autre chose, comme on le voit clairement dans Big Scene. Une inspection plus attentive révèlera un large éventail d’effets graphiques et de motifs mis au service de sa quête constante de la composition parfaite, comme ces hachures et ces points souvent utilisés autour des yeux, ou le joli travail au pinceau qui sert à préciser le volume de certains visages (voir Robin, ou le travail délicat des cheveux sur Bobbi). Dans leur globalité, les dix peintures de cette exposition incarnent l’étendue des développements picturaux que Calvin a toujours explorés. Elles sont de formats divers : les deux plus petites, sur lin (Bobbi et Bonny) reprennent le motif classique (ou presque) d’un visage de profil qui se détache sur un fond de couleur uni, comme c’est aussi le cas pour Twilight Glow. Au contraire, les formats plus grands - comme Close Quarters, Big Scene ou Face Paint - créent un effet très resserré : la surface de la toile y est entièrement occupée par d’énormes visages. Les peintures de Calvin ont souvent été qualifiées d’incarnations de la coolitude, alors qu’en vérité leur effet général est plutôt étrange, mélange d’atti-rante bizarrerie et de radicalisme modeste dans lequel couleurs vives et lumineuses et visages géants stylisés entrent en collision pour attirer l’œil. Pour en arriver à ce stade accompli de sa carrière, Calvin n’a cessé de faire avancer la peinture jour après jour.
Espérons seulement, pour paraphraser les lyrics immortels du légendaire groupe alle- mand Can, que l’avenir sera tout aussi radieux et continuera à nous nourrir de l’art de Brian Calvin :
I don’t have to say no more
You know what I’m aiming for Don’t care if I break a law
I want more and more and more
[Je n’ai rien de plus à dire
Tu sais bien ce que je cherche Tant pis si j’enfreins la loi
J’en veux plus, encore et encore]
- Noëllie Roussel, critique d’art