Ce nouvel ensemble de peintures rend hommage à Peder Balke, peintre romantique norvégien du début du XIXe siècle, qu’Erik Lindman considère être un bricoleur comme lui : Balke employait en effet des chiffons roulés en boule, des coups de pinceau striés, et toutes sortes d’astuces issues de la peinture décorative pour exécuter ses paysages scandinaves imprégnés de fantastique. « La peinture de Balke n’est pas du tout exagérée », explique-t-il ; « elle est le produit du travail d’un homme qui utilise ce qu’il a sous la main ». Ce qui place cet artiste scandinave méconnu dans la lignée des pratiques contemporaines en ce qu’elles enrichissent le pictural de signes appropriés ici ou là, vocabulaires adjacents à des domaines syntaxiques éloignés.
Dans les œuvres de Lindman, il y a presque toujours une sorte de trophée au centre, quelque chose de récupéré ailleurs puis réutilisé, et qui forme un sujet, une figure ou un contraste avec le plan environnant - surface peinte, contreplaqué ou toile de jute.
Ses premières œuvres de maturité ont pour source des bouts d’aluminium, de plastique ou d’autres matériaux, fragments colorés en déshérence, rebuts de chantiers ou de projets abandonnés, trouvés sur les trottoirs et les ruelles de New York. Ces fragments, une fois reconstitués au sein d’une œuvre nouvelle, jouent un rôle central, à la fois accent et élément structurel.
Ces remplois pourraient être qualifiés de spolia, pour emprunter un terme à l’archéologie, qui décrit ainsi l’utilisation dans un nouveau contexte – bâtiment, monument - d’un élément décoratif architectural, camée ou fragment de frise récupéré sur un bâtiment, un temple, une statue ou un sarcophage. Les spolia décrivent tous types d’objets significatifs, re-consacrés ou utilisés à des fins différentes dans un nouvel environnement.
Les spolia classiques sont apparues par opportunisme : il était plus commode de construire avec des matériaux usagés qu’avec du neuf. Le Balke de Lindman procède de la même manière : il utilise des objets qu’il a « sous la main », mais dans une volonté d’évoquer le reliquaire ou l’anachronisme.
Ce qui nous amène aux œuvres récentes, avec leurs zones de relief caractéristiques, composées de résine époxyde perforée rappelant le mastic et collées au centre de la toile. Ces formes évoquent d’étranges fragments de matière organique, déchets chirurgicaux ou prélevés dans la gueule d’un animal – une autre espèce de trophée (c’est d’ailleurs le sens original de la spolia, butin de guerre) à laquelle Lindman confère une touche de noblesse par un encadrement extérieur en barres d’aluminium et un encadrement intérieur en bandelettes de tissu.
Il peint autour du centre, faisant souvent déraper le pinceau sur le milieu, puis repeint encore et encore. Lindman a toujours été un peintre sensuel mais pragmatique, sans fioritures, anti-spectacle, même s’il a commencé à employer du gel aux couleurs changeantes, des peintures métallisées, des billes de verre luisantes ou de la pierre ponce texturée. Et même si la zone centrale représente une forme imaginée plutôt qu’une forme trouvée, elle semble dériver de ses incursions plus récentes dans l’observation, entre autres, des oiseaux et des arbres. Il a récemment signé un recueil de dessins inspirés par la forme des feuilles et des branches, et ses nouvelles sculptures dialoguent tout à la fois avec des structures végétales et des carcasses d’animaux.
Le goût de Lindman pour l’artificiel, l’embellissement des peintures acryliques et des charges, semble à la fois saboter et sublimer son cheminement vers la complexité de la nature. Les variations irisées ou transparentes qui entourent ce qui est peut-être censé représenter un fragment putréfié de nature nous exposent à une esthétique du repoussant, représentation des détritus urbains - pigeons morts, rats écrasés - tempérée par un effet simultané de pétrification peinte. On notera également la volonté tout aussi intéressante de Lindman de faire se rencontrer bas matérialisme et charmes du cosmétique et de l’incongru.
— Joe Fyfe, painter and writer