Alexandre Lenoir sous le niveau de la mer

When we talked at the restaurant and imagined things

I remember telling you that I imagined three scenes for the image in the sequence of your painting (with a small p). While I was speaking, I imagined the first one as a scene of remembrance with the leading actress being the photographic image. It’s like a movie — Action! There’s a kind of strange familiarity with the image — a landscape, a light, and people you like or don’t like. I had read something by Bergson about “the door of consciousness,” referring to the threshold where the subconscious communicates with the conscious mind, and it made me think of what you said about the image as a door. A few lines further, Bergson talks about memories as “messengers of the unconscious.” Well, I think the first image (the photographic image) is at its threshold state. The conscious mind is disturbed — it’s like it’s detached even when it finds itself inside. For a moment, the photographic image suffers from a strange closeness. It reveals way too much, it’s a bad book or a bad movie — Cut! 

Going inside the studio

Now we’re dealing with production (the favorite time of critics and the gallery). I experienced this scene as choreography. Once in position, the people who help you start their movements and positions with you. I noted at this point it was Dylan, Bahar, Alejandro, Amandine, and Melissa. This skene was the darkness of your fabrication. I felt a kind of melancholy, of suspension. There was also a clinical feeling with the projections on the canvas. It’s painstaking work, it takes hours and days. We could talk about your work and continue this list. The second scene is perhaps when all the choreographies (as you call them) in the studio become images. Dylan walks, Bahar walks, Alejandro takes small steps, you come and go. The image is no longer a subject in this moment — it’s a scene of relationships, encounters, almost an assembly line. So the point of all this is that the image doesn’t emerge from a solitary reflection but a production process that is slow, painstaking.

The image, a family in the studio.

We never think of the size of a studio, but it’s always swarming. People laugh, work, eat…it’s a mangrography like in your painting Mangrove (2021).

You show me your paintings

Outside, I sit down, and you come over and show me the paintings. It would be easy to say that the third scene is the event of the image, the one where it appears. It’s the scene of exhibition (showing your painting to me, showing this text, showing the work at the gallery). After the geological stage, the image arrives. After the quakes and the quivering, the image comes out like a snapshot, like something that breaks with the past. That’s Gaston Bachelard, who, unlike Bergson, imagines the instant as solitude, as discontinuity, a break, an essential and non-artificial cut. The time when the image appears (the instant) is radically new and must be marked by an attack (I imagine this as a coup d’état). It would also be the time for synthesis, between you and the world. We aren’t going to resolve this here, this idea of creation (which is actually very violent), this idea of work for the production of a figure that has become recognizable even if we never identify it, as in Plage (2021). It can sometimes disappear in the interplay of materials, for instance with the reflections on the water, but it manages to float. We can hardly hang a story on it — this means the work is done. The figure was already there in the first moment, the moment of the photo, but it betrayed a strange closeness, a caricature (we know scenes of vacations and childhood or family memories, the story has been told too many times, in too many movies, books, and middle-class scenes). And then the figure disappeared totally into the darkness of a studio. There, finally, a figure becomes recognizable again, defies all the bad stories, and the painting becomes a scene of affects, sensations of colors, maybe of emotions, certainly of desires. Like this forest in Mangrove (2021), we would imagine entering a mangrove forest and the word alone is enough to summon up an infinite imaginary space. There’s the memory of a landscape, landscapes that are called “tropical.” The memory of skin bathed in bright sun, the sensation of light and herons gliding at the entrance of the mangrove forest (now we’re getting poetic). Maybe it’s just me going a bit fast in making this figure into a place, but sensations also retain the memory of the places and materials that we miss in other climes — Cut! That’s perfect.

- Chris Cyrille-Isaac

Lorsque nous parlions au restaurant et que nous inventions

Je me souviens t’avoir dit que j’imaginais trois scènes de l’image dans le déroulé de ta peinture avec un p minuscule. Alors que je te parlais, j’imaginais la première comme la scène du souvenir dont l’actrice principale est l’image photographique. C’est comme un film — Action ! Il y a comme une étrange familiarité avec l’image, un paysage, une lumière et des personnes aimées ou pas. J’avais lu un passage de Bergson qui parlait de « la porte de la conscience » en faisant référence au seuil où l’inconscient communique avec le conscient, ça me faisait penser à ta parole sur l’image en tant que porte. Quelques lignes plus loin, il parle de « messagers de l’inconscient » au sujet des souvenirs. Et bien, j’ai l’impression que la première image (photographique) est à l’état de seuil, la conscience est troublée, elle est comme détachée même lorsqu’elle se retrouve dedans. Pour l’instant, l’image photographique souffre d’une étrange proximité, elle raconte beaucoup trop, c’est ou un mauvais livre ou un mauvais film — Coupez !

Une fois entré dans l’atelier 

On est maintenant dans la fabrication (c’est le moment préféré du critique et de la galerie). J’ai ressenti cette scène comme une chorégraphie. Une fois en positions, celles et ceux qui t'assistent commencent avec toi les mouvements et les poses. J’ai noté et en ce moment : il y a Dylan, Bahar, Alejandro, Amandine et Melissa. Cette skéné est la nuit de ta fabrique. J’y ressentais une sorte de mélancolie, de suspension, il y avait aussi ce caractère de clinique avec les projecteurs sur toiles. Le travail est fastidieux, ça prend des heures, des journées. On pourrait parler de ton travail en continuant à énumérer. La seconde scène est peut-être celle où l’ensemble des chorégraphies (comme tu dis) dans l’atelier deviennent images. Dylan qui marche, Bahar qui marche, Alejandro qui piétine, toi qui va et vient. L’image n’est plus le sujet dans ce moment, c’est une scène de relations, de rencontres, d’un travail à la chaîne presque. Tout ça pour ne pas dire que l’image émerge d’une rêverie solitaire mais bien d’une fabrication, lente, fastidieuse.

L’image, une famille dans l’atelier.

Nous ne pensons jamais à la dimension d’un atelier, ça fourmille toujours pourtant. On rigole, on travaille, on mange…C’est une mangrographie comme dans ta toile Mangrove (2021).

Tu me montres tes toiles

Dehors, je m’assieds, tu déplaces et me montres les toiles. Il serait facile de dire que la troisième scène est celle de l’évènement de l’image, celle de son apparition. C’est la scène de l’exposition (celle de tes tableaux devant moi, celle de ce texte, celle de l’exposition à la galerie). Après le stade géologique, l’image advient. Après les tremblements et les tressaillements, l’image sort comme un instantané, comme quelque chose qui rompt avec le passé. Ça, c’est Gaston Bachelard qui, au contraire de Bergson, pense le temps de l’instant comme une solitude, un discontinu, une rupture, coupure essentielle et non artificielle. Le temps de l’apparition de l’image (l’instant) est une nouveauté radicale qui doit être marquée d’ une attaque (j’imagine ça comme un coup d’état). Ça serait aussi le temps d’une synthèse, entre toi et le monde. Nous n’allons pas résoudre ça ici, cette idée de la création (en réalité très violente), celle d’un travail pour la fabrique d’une figure devenue reconnaissable même si nous ne l’identifions jamais comme dans Plage (2021), elle peut parfois disparaître dans un jeu de matières avec les reflets de l’eau par exemple, mais elle réussit à flotter. On peut à peine y accrocher une histoire, ça veut dire que le travail est fait. La figure était déja là dans le premier moment, celui de la photographie, mais elle trahissait une étrange proximité, une caricature (on connaît les scènes de vacances et les souvenirs d’enfance ou de famille, l’histoire a trop de fois été raconté, trop de films, trop de livres et scènes bourgeoises). Et puis la figure disparaissait totalement dans la nuit d’un atelier. Là enfin, une figure redevient reconnaissable, défie toutes les mauvaises histoires, et la peinture devient une scène d’affects, de sensations de couleurs, peut-être d’émotions, assurément de désirs. Comme cette forêt dans Mangrove (2021), on imaginerait l’entrée d’une mangrove et le mot seul suffit à nous renvoyer à un imaginaire infini. Il y a un souvenir du paysage, des paysages qu’ils disent « tropicaux ». Le souvenir d’une peau baignée dans gros-soleil, la sensation d’une lumière et d’hérons planant à l’entrée de la mangrove (là on poétise). C’est peut-être moi qui vais un peu vite en faisant de cette figure un lieu, mais sensations aussi gardent mémoire des lieux et des matières qui nous manquent en d’outre-mers — Coupez ! C’était parfait.

- Chris Cyrille-Isaac