Artiste protéiforme dont la capacité de travail et l’appétit vital ne sont pas sans rappeler ceux de Pablo Picasso, Miquel Barceló est un enfant chéri de l’art contemporain international. La peinture est au cœur de l’œuvre de ce grand voyageur. Sa fascination pour le monde naturel lui a inspiré des toiles richement texturées qui évoquent la matérialité terreuse de l’art informel, ainsi que des compositions qui étudient les effets de la lumière et les couleurs changeantes de la mer. Expérimentant toujours des matériaux non traditionnels tels que la cendre volcanique, la nourriture, les algues, les sédiments et les pigments faits maison, ses œuvres portent les traces de l’énergie farouche qui anime son processus créatif.
Connu pour son approche expérimentale, il aime inventer matériaux et techniques. Que ce soit à l’aide d’eau de javel, de matière organique ou même d’insectes vivants, le style de Barceló explore la décomposition, la lumière et le paysage naturel. Diplômé de l’École des Arts Décoratifs de Palma de Majorque en 1973, il fait son premier voyage à Paris à la même époque, et y découvre l’art brut comme l’art informel avec notamment les œuvres de Jean Dubuffet, Antoni Tàpies, Jean Fautrier et Wols qui constitueront ses premières sources d’inspiration artistique.
“Comme Cervantès, Barceló est voyageur, polyglotte, farceur, influencé par l’Arabie, obsédé par le corps et ses meurtrissures, épique et intimiste, bref, il joue très sérieusement avec les formes de la mort. Son œuvre, déjà vaste, métissée d’emprunts tacites et d’empreintes tactiles, peut se résumer en deux toiles : Gran Animal Europeu (1991) et Memorial Soup (1987). La première œuvre est un buffle africain ou un taureau sévillan dont la peau éventrée laisse surgir un buisson furieux de couleurs mixtes, la seconde une peinture aux silhouettes quasi rupestres, qui laisse affleurer le grain de la matière, l’instabilité des éléments, une luminosité incertaine”, explique le critique d’art Maxime Prodromidès, pour l’Encyclopedia Universalis.
C’est à partir des années 1990 que Miquel Barceló se frotte à la sculpture et à la céramique. Naissent alors des animaux très singuliers ainsi que des univers zoomorphes à la captivante étrangeté. Chercheur impénitent, observateur de la nature terrestre et sous-marine — l’artiste a beaucoup plongé —, Barceló y collecte de nombreux éléments qui se retrouvent dans ses pièces sous des formes aussi diverses que variées, souvent telles des excroissances.
Son œuvre évoque à bien des endroits l’art des cavernes préhistoriques et invente des formes que les hommes premiers n’auraient peut-être pas reniées. “Je pense souvent que ma carrière est une course en arrière. Dans les années 1982-1983, ma peinture était celle d’un artiste européen contemporain, maintenant, je me considère comme un artiste beaucoup plus proche de l’art pariétal d’il y a 15 ou 20 000 ans. Comme le temps n’existe pas et que tout est contemporain, alors je revendique le fait d’être contemporain des grottes de Chauvet”, confiait-t-il sur France Culture en décembre 2022. Obsédé par le faire, Miquel Barceló passe de nombreuses heures à “faire, défaire, refaire” pour que les “choses se passent”. Pour lui, la céramique est une sorte de peinture s’amusant à ne pas faire de différence entre elles deux. Sa méthode très physique de création s’applique à l’une comme à l’autre. Travailler l’argile dans cette visée était évident. Il suit sur cette voie Picasso, Fontana, Miró, mais commence beaucoup plus jeune. Tout est vivant et mort en même temps. Sorte de vanité mille fois renouvelée.
Au cœur d’un bosquet, le monstre de La Grotte Chaumont nous présente le fond de sa gorge déployée comme une caverne sous-marine. Ses dents telles des concrétions menacent de se refermer à l’instant, subtilisant à notre regard un monde en train de naître ou d’être digéré. Mais n’est-ce pas Jonas qui se tient là tout au bord de la baleine ? La figure hiératique, nue comme Adam, semble attendre d’être rejetée sur la terre ferme. Et qu’est-ce donc que ce rouge qui déborde entre deux dents ? Une langue ? Que nenni ! Peut-être bien un vêtement comme dans la scène peinte par Pieter Lastman en 1621. Preuve encore que l’artiste peint sans cesse et que son œuvre s’inscrit dans l’immense fil de l’histoire de l’art tendu entre la grotte Chauvet et la grotte Chaumont.