En l’honneur du centième anniversaire de la naissance de César (1921-1998), un ensemble de ses oeuvres est exposé au Musée Picasso à Paris et dans l’atelier de Picasso à Boisgeloup et témoigne de l’admiration que César portait à Picasso en général, et à sa sculpture en particulier. « C’était fantastique, diabolique de voir ce qu’il parvenait à faire au mépris des formes classiques 1.» Dans l’ouvrage qui accompagne la rétrospective scientifique qui lui fut consacrée au Centre Pompidou en 2017/2018, Bernard Blistène évoque combien César était admiratif, chez Picasso, de « sa technique, ses métamor-phoses, son sens aigu et épiphanique du bricolage, son instinct du matériau ». La double présentation intimiste du musée Picasso et de Boisgeloup tisse des liens entre les artistes.
Au Musée Picasso, dans le salon Jupiter — une loggia qui surplombe le grand escalier d’honneur de cet hôtel particulier du XVIIème siècle — est présenté le Centaure, sculpture qui trouve son origine en 1976 dans l’invitation à participer à un projet d’exposition célébrant le dixième anniversaire de la mort de Picasso au musée Picasso d’Antibes en 1983. A cette occasion César réalisa la première version en plâtre de cette sculpture qui ne fut produite que plus tard, installée en 1985 Place Michel Debré à Paris, et titrée « Hommage à Picasso », dans sa forme définitive de presque 5 mètres de haut. Diverses versions en ont été réalisées par César, tirées à la fonderie de Régis Bocquel, dont celle présentée ici, d’un peu plus d’un mètre de haut. Ce Centaure, mélange d’homme et de cheval comme la créature mythologique, a les traits de César mais porte au dessus de sa tête un masque à l’effigie de Picasso, comme une visière relevée évoquant un masque de soudeur. Sur sa main est posée une colombe, symbole de la liberté que César, à juste titre, voyait en Picasso.
« Pablo, c’est un Centaure sur deux pattes. Pour moi, le thème du centaure, c’est le grand thème de la statuaire classique, celui des grands monuments équestres d’après lesquels j’ai travaillé quand j’étais élève à l’École des beaux-arts, devant les plâtres de la salle des antiques 2. »
Dans sa présentation au musée Picasso, le Centaure est entouré d’une Expansion de 1970 : oeuvres initialement éphémères, ces Expansions furent réalisées en public à partir de 1967 puis découpées et leurs fragments distribuées aux spectateurs, avant que César ne décide de leur donner un statut plus pérenne. « Chez moi c’est toujours comme ça, il y a l’idée qui jaillit tout à coup à partir de la découverte d’un matériau, d’un procédé, mais je mets longtemps à l’assumer, je tourne autour, je cherche à tirer toutes les conclusions de ce langage nouveau, j’en expérimente les possibilités, les ressources, je corrige une forme, j’en reprends une autre… »
Au Centaure et à l’Expansion est ici associé Violet Mica 105, 1998, une compression de Fiat Marea appartenant à la série intitulée Suite Milanaise pour laquelle, pour la première fois, César renvoya les sculptures, après compression, dans la chambre de peinture pour y être repeintes, flambant neuves, aux couleurs monochromes métallisées de la gamme FIAT en cours.
Les « compressions » sont nées en 1959 de la rencontre avec une presse hydraulique chez un ferrailleur de Gennevilliers, en 1956 : « Ç’a été le coup de foudre. Tout de suite j’ai eu envie de l’utiliser. D’abord je m’en suis servi de manière brute, si j’ose dire. La presse allait au devant de mes souhaits, elle se saisissait du matériau, le broyait et le transformait en d’énormes balles calibrées d’un poids variable ; j’étais anéanti devant cette machine qui transformait des voitures en paquets de ferraille de plus d’une tonne. 3 »
César connut les ateliers de Picasso à Mougins, Vauvenargues ou celui à Cannes dit de « La Californie », comme le montrent les photos de David Douglas Duncan de 1957, mais il ne connut jamais Boisgeloup. À Boisgeloup, sur l’esplanade de la gentilhommière dont Picasso fit l’acquisition en 1930 et où il se consacra essentiellement à la sculpture (il y réalisa ses premières
« sculptures assemblages ») est présenté un Pouce en bronze doré, haut de 3,50m. Tandis que la bâtisse lui tient lieu d’arrière plan, ce pouce levé semble mesurer le paysage, comme le faisaient les peintres pour appréhender les proportions d’un sujet dans l’exercice du dessin académique. Il nous rappelle que César, qui suivit dès l’âge de quatorze ans des cours du soir de dessin à l’École des beaux-arts de Marseille en 1935, étudia inlassablement le dessin, le modelage et la sculpture sans relâche (il fut premier prix de dessin, de gravure et d’architecture) — d’après modèle vivant à partir de 1940. « L’élève doit apprendre l’anatomie, la terre, le modèle. Ce sont des exercices, mais ils permettent de se sortir de n’importe quelle situation. 4 » Le premier de ces Pouces fut réalisé dans la perspective d’une exposition à la galerie Claude Bernard en 1965, sur le thème de la main, justement intitulée « La Main, de Rodin à Picasso ». César les qualifia du beau terme de « probabilité de sculpture, ou plutôt antisculpture. 5 »
Dans l’atelier situé dans les anciennes écuries, où Picasso pratiquait la taille directe, le plâtre et le fer soudé, et où subsiste le célèbre escabeau photographié par Brassaï, est présenté un ensemble de sculptures en plâtre et en fers soudés, écho de la découverte que fit César en s’installant à Paris en 1943 des assemblages hétérogènes de Picasso. Le fauteuil en corne qui le suivit dans tous ses ateliers successifs semble suggérer que César s’est provisoirement installé dans l’atelier de Picasso — mais respecte la mémoire de son historique propriétaire, tout d’abord en présentant divers portraits de Picasso par César en plâtre et en bronze soudé. (Seuls Picasso et Francis Bacon inspirèrent à César des portraits). Poules et hiboux, tel le Coq en bronze soudé de 1947/1980, rappellent eux aussi que poules et hiboux firent partie de l’iconographie de Picasso, de même que la célèbre Pacholette (1966/1991), qui fut longtemps considérée comme signant la fin de la période des sculptures d’assemblage de César. Picasso avait envisagé faire l’acquisition d’une poule en fer soudé de César tandis qu’il visitait pour la seconde fois l’exposition « César, sculptures de 1955 à 1966 » à la galerie Madoura de Cannes, en 1966, commentant :
« C’est un grand sculpteur, lui aussi. » Une femme assise sur une chaise en bronze et une compression crème complètent l’ensemble exposé dans l’atelier — ensemble volontairement hétérogène qui témoigne de l’approche expérimentale multidirectionnelle qui unit les deux artistes. Dans le garage que Picasso avait fait aménager juste à côté de l’atelier pour y garer l’Hispano-Suiza modèle H6B de 1930 dont il avait fait l’acquisition en 1930, est exposé Plaque Femme, un bronze soudé de 1963/1991, témoin de la série des Plaques sur lesquelles César revint durant une dizaine d’années, faites d’accumulations et du chevauchement d’éléments : ses seules oeuvres totalement « abstraites ». Tandis qu’une Poulette en bronze semble avoir naturellement établi domicile à même le sol du pigeonnier de Boisgeloup, Hayon Corail (1986), un fragment d’automobile compressé dont la tôle est peinte en rouge vif, trône sur le pan de mur central du chevet de la Chapelle de Boisgeloup édifiée au XIVème siècle. En 1986, César avait rencontré Jean Todd, directeur de Peugeot, lui demandant de lui confier des voitures accidentées par les courses automobiles : il reçut quelques 205 turbot GTI qu’il démonta ; le hayon (lunette arrière et partie de coffre) de l’une d’entre elles, écrasé, compose Hayon Corail, fragment de voiture devenu sculpture murale.
1. Bernard Blistène, « Un entretien avec César », César oeuvres de 1947 à 1993, Centre de la Vieille Charité, Marseille, 1993, p. 167
2. Bonjour Monsieur Picasso, 13 commandes du Musée d’Antibes à des artistes pour le Xème anniversaire de la mort de Picasso, 1973 – avril 1983, catalogue d’exposition, Antibes, Musée Picasso, 1983.
3. Catherine Francblin, Les nouveaux Réalistes, Paris, éditions du Regard, 1997.
4. Otto Hahn, Les sept vies de César, Lausanne/Paris, Favre, 1988, p. 94
5. Pierre Cabanne, César par César, Paris, Denoël, 1971, p. 131
6. Otto Hahn, Les sept vies de César, Lausanne/Paris, Favre, 1988, p. 2