L‘incertaine évidence
Peintures, sculptures ? Objets, céramiques ? Les travaux de Justin Adian, présentés pour la première fois en solo show en France, troublent dans la définition de leur perception, avant qu’une lecture plus approfondie en livre une liberté d’interprétation à l’ambiguïté assumée.
Qu’elles se donnent à voir comme des peintures marouflées, des volumes posés au mur, des œuvres gourmandes, abstraites ou dynamiques, les pièces de Justin Adian dégagent une impression immédiate de jouissance dans le « faire ». D’ailleurs, il avoue passer des heures à l’atelier, à composer et recomposer. Construire, déconstruire et reconstruire, faisant entrer en scène plusieurs jeux de force. Ces formes faussement molles, constituées au départ de coussins compressés dans des châssis, sont ensuite recouvertes d’une toile étirée. Elles évoquent, dans la tradition de la sculpture américaine, bien évidemment celle de Robert Morris, Richard Tuttle, Lynda Benglis, mais aussi Franz West ou Eva Hesse. Dansantes et actives, elles convoquent encore les toiles d’Ellsworth Kelly. Mais à les regarder attentivement, on y décèle une tension et un sens de la composition, que Justin Adian accentue dans la mise en espace de ses accrochages.
« Je débute en général par des dessins qui me donnent une idée globale de la structure. Mais mon travail s’inscrit dans un procédé assez organique m’octroyant la liberté d’un assemblage qui peut être évolutif par rapport à la conception de départ. Quand je lie les éléments, j’accepte les changements qui peuvent survenir, avant de passer à la peinture de chaque objet, traité individuellement comme une surface. »
Au sein de cette recherche de la composition, l’on songe alors à Lioubov Popova et Kasimir Malevitch. Pour Justin Adian, même s’il concède que ces références en histoire de l’art remontent à ses années d’étude et qu’il s’agit davantage d’affinités que d’influences directes, il avoue admirer sans réserve l’auteur du Carré Noir sur fond blanc et, comme Malevitch, recrée une notion d’espace invisible entre ses « objets ».
Le mot objet est en effet celui que Justin Adian emploie souvent, même si sa phase favorite du travail est celle consacrée à la peinture. Ainsi, de quatre à sept couches peuvent recouvrir chaque pièce, apportant de la transparence et de la profondeur, de même qu’une finition parfois craquelée renvoyant à l’apparence de la céramique. De là, naît une des autres ambiguïtés dans la lecture de ce travail : une tension qui s’accompagne d’une grande délicatesse, voire de fragilité. Et on l’imagine, de manière totalement anachronique, dans son atelier de Brooklyn oeuvrant tel un orfèvre médiéviste.
Même si le terme n’est plus usité dans le langage de l’art contemporain, Justin Adian
« se délecte » littéralement à parfaire ses surfaces et compare ses différentes couches à du maquillage et de la cosmétique. « Cela me donne l’impression de réaliser de la peau. Quand d’autres toiles m’évoquent parfois l’idée d’un paysage, particulièrement pour les œuvres horizontales, car mon travail est en réalité, même de manière dissimulée, assez narratif et part des nombreuses histoires que je me raconte. »
Dans ses œuvres plus anciennes, certains titres conféraient une dimension humoristique qui leur apportait un décalage, de même que l’emploi de la peinture industrielle, et parfois l’ajout de spray pour intensifier la brillance, l’éloigne du geste trop caricatural du peintre. D’un travail physique, notamment dans les grands formats, quand il étire sa toile, il s’éloigne, prend du recul, puis revient au plus près de son œuvre.
Pour cet ensemble inédit présenté à la galerie Almine Rech, intitulé Waltz, il donne naissance à des formes nouvelles, inspirées de notes musicales, ou comme le précise cet amateur de sons rocks et punks, « d’un autre type de langage ». Jouant entre elles, puis avec l’espace du lieu et celui du regardeur, elles reconstituent au final une partition encore inexpérimentée.
—Marie Maertens